Riou Et Les Calanques Aujourd'hui
Errances Et Réflexions D'une Promeneuse Solitaire
Commencée en 2003 cette partie concernait surtout l'archéologie sur Riou. Puis je me suis laissée entrainer à parler de mes recherches pour essayer d'étayer les réponses à mes propres questions. Pensant qu'étant donnée la longueur des textes il y a peu de chance pour que ce soit lu en entier, j'écris pour "publier" ce que je découvre, je ne mets pas partout les points sur les i. Ainsi je ne me suis pas étendue sur la découverte de l'avion de St Ex. Cela appartient à Luc Vanrell et avec Jacques Pradel il raconte très bien ce qui s'est passé, ce que je pourrais en dire ne serait qu'un résumé de leur livre "St Exupéry: l'ultime secret". Je suis encore étonnée de la façon dont je me suis retrouvée mêlée à cette affaire, et surtout à celle qui en a découlé. Etonnée et ravie, il faut bien le dire.
Ceux que je nomme savent que c'est pour les remercier de ce qu'ils m'ont apporté. Je veux aussi remercier les lecteurs qui écrivent pour me dire qu'ils apprécient ce site, et ceux qui le font connaitre à leur amis! Cela fait toujours plaisir et me donne l'excuse de retourner en pensée dans cet endroit fabuleux .
Les Ecrits Relatifs À L'Ile Et Aux Calanques
Datation de la Sablière par Courtin et Froget
L'ile De Riou
par Bouillon-Landais
par Bouillon-Landais
S' il est, pour les ports de mer, une nécessité de premier ordre, c’est d’exercer une active surveillance sur la mer. De même que la mer est la grande voie du commerce qui les fait vivre et les enrichit, elle est aussi le chemin toujours ouvert par lequel surviennent les flottes ennemies qui les désolent et qui les ruinent. La position de Marseille , en particulier, et la configuration de ses rivages sont telles, que la galère de l’antiquité et du moyen-âge, aussi rapide, plus rapide, pour un moment donné, que nos bateaux à vapeur , pouvait amenant ses longues antennes, se glisser à l’abri des promontoires et arriver presque à l’embouchure du port sans avoir été aperçue d’aucun endroit de la ville . ce danger d’être surpris, qui aurait frappé l’homme le moins prévoyant, fut sans aucun doute reconnu et apprécié par nos fondateurs, citoyens intelligents autant que marins expérimentés . Dès lors ils durent se préoccuper d’un système d’exploration et de vigies dont la prudence la plus vulgaire leur faisait une loi . Mais l’établissement d’un tel système ne saurait être une chose arbitraire ; il dépend absolument de la nature des lieux. On doit donc pouvoir, encore aujourd’hui , en fixant son attention sur une carte de notre territoire et de nos côtes retrouver les stations où furent postés nos premiers guetteurs. Le résultat de cette recherche acquerra tous les caractères de la certitude , lorsqu’aux indications données par la topographie, seront venus se joindre des documents authentiques qui montreront les mêmes points affectés à la même destination pendant tout le moyen-âge et enfin jusqu’à nos jours.
Assise au bord du rivage , baignée par les flots de trois côtés, ainsi que le dit Jules Cesar, Marseille n’avait presque pas la vue sur la mer. En effet que l’on se transporte sur cette partie de la ville qui seule y faisait face, c’est à dire sur ce qui naguère était encore une falaise comprise entre le fort Saint Jean et l’ancien abattoir ; partout où l’on s’arretera , on se trouvera au sommet d’un angle d’environ vingt-cinq degrés , dont la pointe du Pharo et les îles de la rade déterminent un côté et dont l’autre côté aboutit au Cap Couronne. Le point culminant de ce terrain étant l’esplanade de la Tourette, à dix-sept mètres au dessus du niveau de la mer. De cette hauteur, l’oeil rencontre l’horizon à seize kms ; tout ce qui est au-delà lui échappe. A moins donc de franchir l’enceinte de leurs remparts, c’était l’unique parcelle de la Méditerranée qu’il fût possible à nos pères d’apercevoir.
Puisque nous avons nommé Jules César, remontons si l’on veut , jusqu’à son époque : supposons-nous ses contemporains et admettons que notre ville s’étende vers le couchant jusques par delà cet écueil, maintenant absorbé par le nouveau port, que l’on nommait l’Estéou. A mesure que nous nous rapprochons de la mer, le front de la cité se rétrécit et la falaise s’abaisse pour se transformer en une plage. Du bord de cette plage, dont le contour probable est indiqué par une ligne de points dans le plan de Marseille levé en 1808 par l’ingénieur Demarest ; du bord de cette plage, disons-nous, le regard peut embrasser, il est vrai, un arc un peu plus grand que du haut de la Tourette, il peut même saisir vers le Sud-Ouest une étroite échappée entre la pointe du Pharo et l’île de Pomègues ; mais comme nous nous trouvons à un niveau bien inférieur, ce n’est plus à seize kilomètres au large que notre vue portera, mais tout au plus à cinq ou six.
Evidemment, ni la plage du temps de César, ni la Tourette, malgrè le nom de Miradour qu’elle porta au moyen-âge, ni aucun poste dans l’intérieur des murs n’était propice pour cette surveillance qu’une population de pêcheurs, de navigateurs, de commerçants avait un si grand intérêt à établir large et complète. Ils durent s’en convaincre bientôt et bientôt aussi se mettre en quête de stations plus convenables pour leur vigies.
Il était sous leurs yeux une position que la nature semblait avoir ménagée tout exprès pour cet usage. Isolée de tout autre groupe, dominant le pays dans un rayon de plusieurs lieues, distante à peine de quatorze cent mètres des rives de la vieille ville, la colline de la Garde était une station des plus admirables. Rien de ce qui arrive par les routes de terre ne peut échapper au guetteur,et , de ce côté, l’exploration est si facile qu’il parait impossible de désirer mieux. S’il n’en est pas tout à fait ainsi du côté de la mer, il n’en est pas moins vrai que du sommet de cette colline , situé à 173 mètres au dessus du niveau des eaux, on peut découvrir au large jusqu’à la distance de cinquante kms, et cela entre l’île Maire et les graus du Rhône, c’est-à-dire embrassant un arc de 80 degrés. Aussi les Marseillais se hatèrent-ils d’y élever une tour et d’y installer un service de signaux. Cette tour était appelée dans le latin de la basse latinité : Turris de Gardia, la Tour de la Garde. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que c’est le même nom qui s’est perpétué jusqu’à nous, d’âge en âge par la tradition, et de langue en langue par la traduction.
Tant que Marseille fut en paix, la Tour de la Garde put lui suffire . Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, puisque la vigie établie au même lieu suffit encore aujourd’hui. Toutefois l’excellence de cette station ne va pas jusqu’ànous assurer une surveillance satisfaisante en temps de guerre maritime. De Marseille au cap Croisette, ou à l’île de Maire qui en est le prolongement, le rivage a sa direction générale du Nord au Sud ; mais au cap Croisette, il tourne brusquement par un angle presque droit pour courir vers l’Est. Cette seconde partie de la côte est tourmentée, abrupte, déchirée par de nombreuses échancrures et bordée de hautes montagnes dont parfois les versants tombent à pic dans la mer. Ici la Tour de la Garde n’est plus d’aucune utilité, et, pour tenir en observations la partie sud de notre territoire , c’est à d’autres positions qu’il faut recourir.
Mais ici encore, à point nommé, il s’est trouvé une montagne réunissant en grande partie les conditions désirables pour en satisfaire à ces nouveaux besoins. C’est la montagne appelée en latin Massilia-veire, et en français : Marseille-veire, deux corruptions du provençal : Marsilhoveire, qui signifie voir Marseille. Elle est tout à la fois la plus voisine du Cap Croisette et la plus haute de celles qui bordent la côte ; elle est élevée de 433 mètres au dessus de la mer. De là le regard découvre l’horizon à 60 kms, et l’arc qu’il peut parcourir n’a pas moins de 145 degrés entre le Cap Sicié et les basses terres de la Camargue. En un mot, la destination de cette montagne semble si clairement indiquée par la topographie, que les Marseillais n’hésitèrent pas à y poster une deuxième vigie.
Quand on est au sommet de Marseille-Veyre, on a presque à ses pieds tout un archipel peu connu en général de nos concitoyens. C’est d’abord l’îlot que les pêcheurs appellent Peirot et que les cartes s’obstinent à nommer Tiboulen, rendu célèbre par le roman de Monte-Christo ; c’est Maïre que nous avons déjà citée, et qui n’est autre que l’Immadras de l’itinéraire d’Antonin ; c’est ensuite Jarre , où l’on reléguait autrefois les navires qui avaient la peste à bord ; puis Cale-seragne, où il y a une grotte dite des Morts et une légende dont tout le monde parle, mais que personne ne sait. (Bouillon Landais se trompe,il n'y a pas de baume sur Plane; la Baume des Morts est sur Jarre. Ces morts ont été à tour de role les marins du Grand St Antoine, des soldats de Napoléon, et d’après Jean-Courtin parce qu’ils étaient soupoudrés d’ochre jaune des néolithiques) ; puis enfin, à 3 kms du rivage et au large de toutes les autres, l’île de Riou.
La côte qui fait face à ces îles, nous venons de le dire, est escarpée, accidentée et coupée par des criques nombreuses, parmi lesquelles nous citerons celles de Calelongue, de la Mounine, des Cairons, du Podestat, de Cortiou, de Sormiou,de Giparel, de Morgiou, de Segeton, de l’Oulle, de Vau, de Port-Pin et de Port-Miou près de Cassis, sans compter une foule de recoins innommés, et le tout dans une étendue de moins de 13 kms. Or de Marseille-veire on signale fort bien tout ce qui apparait au loin, mais on ne voit pas toujours ce qui est sous la côte , de sorte qu’il pouvait se faire que des embarcations ennemies vinssent s’y embusquer pendant la nuit et fondre de là, au moment opportun , soit sur des bateaux de pêche , soit sur les navires marchands venant reconnaitre l’attérage à leur arrivée.
A ce mal, il n’y avait qu’un remède, l’établissement d’une nouvelle vigie. Pour cette vigie il n’y avait qu’un point : l’île de Riou. Nous ne recherche
rons pas l’étymologie de ce nom ; nous dirons simplement qu’on écrivait indifféremment Mons ou Insula de Rivo, de Riau, de Rieu ou de Riou. Cette dernière forme est la véritable appellation provençale qui a prévalu. (il oublie de Rieuls) .
L’île de Riou s’étend à peu près de l’Est à l’Ouest, parallèlement à la terre ferme, sur des mètres. Elle est presque inabordable du coté de la haute-mer Cette partie est un véritable chaos , un labyrinthe inextricable de roches verticales, de blocs tombés, de crevasses, de ravins, de précipices qui lui ont mérité le nom de Mauvais Pays qu’on lui a donné. Du côté du Nord, l’île est facilement abordable sur plusieurs points. Celui que les visiteurs choisissent de préférence , est une petite anse à fond de sable appelée Ménesteirol. Elle est en face d’un vallon qui s’élève vers le centre de l’île et qui se termine à un énorme rocher affectant une forme conique. Au bas de ce cône, on rencontre une citerne ou un réservoir d’environ deux mètres en tous sens , destiné à recevoir l’eau de la pluie. Comme il n’y avait là aucune surface plane ou horizontale pour recueillir cette eau, on s’est avisé d’un autre moyen : on a creusé, au pied même du cône une étroite rigole qui en circonscrit la face antérieure et qui aboutit à la citerne , laquelle ramasse toute la pluie que le vent pousse contre les parois du rocher et qui n’a d’autre écoulement que la rigole. Le réservoir , élevé sur le sol, est en simple maçonnerie et en bon état, bien qu’il paraisse de construction ancienne (1442). L’eau s’y conserve parfaitement ; De là au point culminant de l’île , la distance est courte et on la franchit en quelques minutes ; Quoique cette ascension, à partir du rivage, ne présente aucun danger , il ne faut pas croire pourtant qu’elle soit exempte de difficultés ; la pente est rapide ; il n’existe aucun sentier frayé, et les avalanches de cailloux qui roulent sous les pas du touriste embarrassent et retardent sa marche.
La crête qui forme le sommet de Riou est couronnée par trois mamelons ; celui du milieu, qui est le plus élevé , présente un plateau arrondi d’environ 6 mètres. C’est là que les Marseillais établirent leur troisième vigie. Elle consistait en une tour circulaire , presque ruinée aujourd’hui, mais dont ce qui reste peut donner quelque idée . Elle a 4 mètres de diamètre intérieur ; l’épaisseur des murs est de près d’un mètre ; elle est en maçonnerie ordinaire et construite avec beaucoup de soin ; Il y avait dans l’intérieur, une citerne creusée dans le roc et voutée en pierres ; elle était revêtue de béton à la pouzzolane. Elle occupe le côté nord de la tour. A la partie opposée on remarque dans l’épaisseur du mur, un enfoncement qui parait avoir été une cheminée. Enfin, à côté et un peu au-dessus de la cheminée, se trouve une petite fenêtre cintrée, en briques, de soixante cms dans toutes ses dimensions. Nous n’avons aucune donnée directe sur la hauteur de l’édifice, ce qui en reste ayant à peine 3 ou 4 mètres ; mais nous pouvons juger par analogie. Les vieilles tours de nos moulins à vent, auxquelles une grande solidité était nécessaire, ont exactement le même diamètre et la même épaisseur de muraillles que la Tour de Riou. On peut donc supposer que celle-ci était , à peu de différence près , de la même hauteur que les premières. Il n’y a du reste aucune trace de porte et probablement elle n’en avait pas. Mais les gardiens étaient pourvus d’une échelle, et c’était par ce moyen qu’ils y pénétraient.
La réunion de ces diverses circonstances, la force des murs, la cheminée , la citerne intérieure, l’absence de porte, indiquent suffisamment que l’on avait cherché à prémunir les habitants de ce lieu contre les dangers d’une attaque, toujours imminente dans une pareille situation .
A quelques mètres à l’Est de la tour et sur une partie de la montagne qui se trouve un peu en contrebas, on avait encore bâti une cabane de 3 mètres sur 2 mètres 75, ruinée maintenant jusqu’aux fondations. C’était pendant le jour, l’habitation ordinaire, l’abri des gardiens. Quant aux signaux ils les faisaient du haut de la tour, leur asile pendant la nuit, leur refuge dans tous les cas.
Ainsi se trouva complété le système de vigies des anciens Marseillais. De Riou , élevé de 192 mètres, on pouvait explorer un arc de 175 degrés jusqu’à la distance de 53 kms. Mais là, n’était pas sa plus grande utilité; c’était de pouvoir surveiller à revers toute la côte et de rendre impossibles les embuscades dont nous avons parlé.
Ce système, commandé par la topographie du pays, se composait comme on le voit de trois stations. Elles vont exactement du Nord au Sud et sont presque en ligne droite. Celle de Riou, la plus éloignée de la ville , en est à 13375 mètres, à vol d’oiseau. Marseille-Veire, poste intermédiaire, est à 5450 mètres de Riou et à 8130 mètres de nos quais. Nous connaissons la distance de la Tour de la Garde.
Malgré l’utilité de la station de Riou malgré la nécessité de celle de Marseille-Veire, lien indispensable entre les deux autres, ce fut toujours celle de la Garde qui fixa plus spécialement l’attention de nos concitoyens. Elle était immédiatement sous leurs yeux ; elle résumait toute la ligne ; elle fonctionnait constamment, en temps de paix comme en temps de guerre ; enfin elle les gardait si bien, qu’elle fut toujours pour eux la garde par excellence.
Mais lorsque le sanctuaire vénéré que nous voyons réédifié se fut élevé à côté de la Tour de la Garde, lorsque la sécurité résultante de signaux fidèlement transmis eut été ajoutée la certitude d’une intervention surhumaine, ce ne fut plus, parmi la population, cette simple préférence que l’on accorde parfois à un site utile ou qui plait : ce fut une explosion de reconnaissance qui délaissa les choses de la terre pour monter au ciel, ce fut un mélange de confiance et d’amour qui s’éleva jusqu’aux pieds de la divine protectrice, sentiment puissant et épuré que la religion seule sait perpétuer après l’avoir fait naître. Dès ce moment aussi la station changea de nom. Ce ne fut plus la Garde, ce fut Notre-Dame de la Garde. Dans ce simple changement de nom, il y avait tout à la fois un témoignage de gratitude pour les bienfaits déjà reçus et une invocation pour l’avenir.
Il semblerait que la ligne des postes que nous avons essayé de décrire dut se rattacher à un point quelconque dans l’intérieur de la ville. Un grand nombre de citoyens, il est vrai, pouvaient à toute heure du jour apercevoir les signaux de ND de la Garde ; mais il n’en fallait pas moins qu’il y eût des préposés spécialement chargés d’y veiller et d’aviser qui de droit lorsque le cas l’exigeait. Nous ne pouvons rien affirmer à cet égard, attendu que les renseignements font défaut. Il y avait des gardiens pour chacune des portes de la ville, cela est constaté dans une foule de documents. Mai y en avait-il pour observer ND de la Garde ? Nous n’avons recueilli de traces d’une surveillance de ce genre que dans la suite donnée à une supplique adressée; le vendredi 30 avril 1473, au conseil municipal, par Pierre Jacques, trompette de la ville.
Dans cette pétition, rédigée en provençal, Pierre Jacques expose que : « Si c’était le bon plaisir du conseil de lui accorder, pour lui et son ménage, au plus haut étage de la Maison-de-Ville, une chambre et une petite salle où il y a une cheminée, et au plus bas, telle partie qu’on voudra pour ses vendanges et son cellier, il y ferait volontiers sa résidence, tiendrait toujours la maison bien propre et serait lui-même plus facile à trouver quand on aurait besoin de lui. Il ajoute qu’ayant appris que l’on doit construire dans la dite Maison-de-Ville un escalier à vis qui montera jusqu’au plus haut du toit, il s’offre, quand la vis sera terminée, à faire le guet chaque soir avec sa trompette au plus haut de ladite vis(B) »
L’édifice dont il est ici question avait été construit sur l’emplacement de la maison de Jacques Favas, acquise par la commune le 14 novembre 1445, au prix de 800 florins d’or. Il fut démoli en 1653 pour faire place à l’Hôtel-de-Ville actuel.
Le conseil municipal accueillit la demande de Pierre Jacques, et lui accorda un logement dans la maison , aussi longtemps que cela conviendrait à la ville , et à condition que Jacques, de son côté, tiendrait les promesses de sa supplique.
Nous ne prendrons pas sur nous d’affirmer que Jacques avec sa trompette montât tous les soirs au sommet de son escalier tout exprès pour examiner ce qui se passait à ND de la Garde ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que, s’il s’y était passé quelque chose d’extraordinaire, il n’aurait guère pu manquer de s’en apercevoir.
Et puis, répétons-le c’est la seule apparence d’un service régulier d’observation, fait de l’intérieur de la ville , que nous ayons pu retrouver.
Malgré l’importance qu’il y avait pour les Marseillais à ce que la mer fût constamment surveillée, il arrivait assez souvent que les vigies manquaient de gardiens. La cause ordinaire de cet abandon était la pénurie du trésor. Marseille, qui, sous ses vicomtes, avait été la ville la plus riche de nos contrées, en était devenue la plus pauvre depuis sa soumission aux comtes de Provence. Elle leur avait aliéné tous ses revenus sans exception. Les comtes, en compensation s’étaient obligés à pourvoir de leurs deniers à toutes les dépenses qui intéressaient la ville et qui avaient été énoncées dans les chapitres de paix. Mais continuellement engagés dans les guerres de leur royaume de Naples, ils n’avaient pas plus d’argent que les Marseillais eux-mêmes. De là, souffrance et interruption des services publics les plus urgents.
Il va sans dire qu’un pareil oubli des plus chers intérêts de la cité soulevait d’energiques réclamations dans le sein du conseil municipal. Cette assemblée était, de droit, présidée par le viguier ou lieutenant du comte. C’était donc à lui que l’on s’adressait ; on l’interpellait, on le requerait, on le sommait en invoquant les traités. Dans ces circonstances, le viguier répondait ordinairement qu’il était prêt à donner des ordres pour la garde des vigies. Mais sa bonne volonté, feinte ou réelle, ne suffisait pas ; il existait un fonctionnaire d’un rang inférieur duquel dépendait tout en réalité ; c’était le clavaire ou trésorier chargé de percevoir les revenus du comte et de solder les dépenses. Lorsque le clavaire n’avait pas d’argent, ou qu’il disait n’en pas avoir, ce qui revenait au même, les ordres du viguier demeuraitent une lettre morte. On recourait alors aux expédients ; on empruntait, on imposait une taille, ou quelquefois on finissait par obtenir de percevoir temporairement une branche des revenus aliénés. Tout cela entrainait des longueurs, des difficultés, des tiraillements pendant lesquels le service ne se faisait pas.
Quelques citations doivent suffire pour apporter la preuve de ce que nous venons d’avancer.
Le 23 juin 1326, sous le règne de Robert, comte de Provence et roi de Naples, le conseil municipal, assemblé dans l’antique salle verte du Palais, prit la délibération suivante : « Enfin, il a été délibéré, sur la proposition de Hugues de Conchis, que le seigneur viguier serait requis , comme il l’est dès à présent d’ordonner que l’on place et que l’on maintienne les gardes ordinaires à la Garde, à Marseille-Veire et à l’île de Riou , pour faire les signaux nécéssaires à la sureté de la ville, de crainte que les habitants ne soient molestés par les ennemis du roi.
(Il y a dans le texte : Pro faronis faciendis. Le mot faronus signifie proprement un signal fait avec du feu. Nous l’avons traduit par l’expression générique : signal, attendu que , ainsi qu’on le verra , nos vigies faisaient encore d’autres signaux. )
Sous le même règne et peu d’années après , le 18 août 1332, on lit dans un procès-verbal d’une autre séance d’une autre séance : « Item, quant aux signaux ( le texte porte : Super facto faroni), il a plu au conseil de requérir le seigneur viguier qu’il les fasse faire à la Garde, à Marseilleveyre et à Riou. » Le viguier était Guillaume de Sabran, chevalier, seigneur de la Tour d’Aigues.
Le 24 Mai 1372, c’est à dire trente ans plus tard, au temps de la reine Jeanne, une autre délibération s’exprime ainsi :
« Primo, attendu les dangereuses incursions des Catalans, qui courent les mers de cette cité, exercent la piraterie avec des galères et d’autres batiments, et capturent les pêcheurs et les navigateurs, il a plu au conseil de requérir le seigneur viguier, pour qu’aux frais de la cour, ainsi qu’il y est obligé, tant à l’église de la bienheureuse Marie-de-la-Garde, qu’à Riou et à Marseille-Veire, les gardiens qui y ont été de toute ancienneté, afin d’éviter les dommages et les rapines dont se plaignent les pêcheurs et les navigateurs. »
Et le dit viguier a répondu qu’il était prêt, attendu que le fisc n’a pas d’argent , à faire une délégation sur les revenus de la cour, afin de solder les gardiens pour la sécurité des pêcheurs , des navigateurs et de tout autre. »
Le viguier qui fit cette réponse s’appelait magnifique homme Jean des Amics de Caramanique, chevalier et professeur de droit civil. Malgré la confiance que devait inspirer la promesse du magnifique Jean des Amics, nous avons lieu de croire qu’elle ne fut pas tenue ; car, dès le 8 avril suivant, avant qu’un an se fût écoulé, le conseil revenait sur la nécessité de placer des guetteurs à nos trois vigies.
En résumé, la garde des stations et, par suite, la sécurité de la ville n’était rien moins qu’ assurées. Il en était de même quant à tous les autres services dont la dépense était à la charge du comte. Ce n’était certes pas la faute de nos magistrats, qui ne cessaient d’employer leurs efforts pour échapper à cette position aussi intolérable que précaire, mais qui parvenaient bien rarement et bien difficilement à obtenir de l’argent du fisc. Nous avons pourtant un exemple d’un succès de cette nature, remporté par eux, dans un acte passé le lundi 20 février 1401 , par-devant le notaire Pierre Calvin, entre Réforciat d’Agout, seigneur de Vergons, viguier de Marseille, d’une part et Guillaume de Vivaud, Honoré de Monteils et Antoine Crote, syndics de la commune d’autre part. Par cet acte où, tout en récapitulant avec soin les sommes dues à la ville, les syndics se posent et s’énoncent en véritables suppliants, le viguier leur délègue les censes, le droit de la table de la mer et les autres revenus de la cour jusqu’à concurrence des 557 florins d’or qu’il reconnait leur être dus, entre autres causes, pour les gardiens de la bienheureuse Marie-de-la Garde, de Marseille-Veire et de Riou.
Les vigies dans l’origine, avaient été établies pour fonctionner pendant toute l’année . Lorsque la pénurie des finances municipales , aussi bien que celles du trésor comtal, vint s’imposer l’obligation de faire des économies, on prit le parti de les abandonner pendant l’hiver, c’est à dire pendant la saison où le mauvais temps devait empêcher ou tout au moins rendre plus difficiles les croisières de l’ennemi. Cela ressort évidemment de la délibération suivante, prise le 26 septembre 1472 :
« Jacques de Remezan, syndic, expose que quelques personnes sont d’avis qu’il serait bon , pour éviter les dépenses , attendu d’ailleurs que l’hiver est déjà commencé, de faire retirer à la fin du mois , les gardiens qui sont aux îles. Sur quoi, il demande que le conseil veuille bien délibérer. »
« Il a plu au conseil que les gardiens des îles y restent jusqu’à la fête de tous les Saints.
De même qu’un citoyen sage et prudent, un syndic, avait voulu par raison d’économie, hater un peu trop l ‘époque où les guetteurs pouvaient prendre leur quartier d’hiver ; de même il advenait parfois que, pour la même raison, ces quartiers d’hiver étaient prolongés plus qu’il ne l’aurait fallu, et que le beau temps était arrivé avant qu’on eut songé à regarnir les postes. D’autres fois enfin, toujours par économie, le salaire qu’on offrait aux gardiens était si réduit, qu’on ne trouvait personne pour ce métier.
C’est à ce double motif que doit être attribuée la réclamation introduite dans la séance du conseil du 20 avril 1480, et que nous relatons d’autant plus volontiers qu’elle fut l’occasion de diverses dispositions qui sont essentiellement de notre sujet.
« Exposent au conseil, Michel Sime et Pierre Forse, prudhommes de la mer, qu’il était d’usage de placer des gardiens salariés aux lieux de Riou et de Marseille-Veire, et parce que, au temps actuel, on n’exerce pas une surveillance suffisante, il s’ensuit que les pêcheurs de cette ville souffrent de nombreux dommages. S’il plaisait donc au conseil d’augmenter les salaires des surveillants, on en trouverait de capables. En conséquence, ils demandent qu’il en soit délibéré et qu’il soit avisé et pourvu. »
« Il a plu au conseil de délibérer que des gardiens aptes , capables et suffisants soient placés aux dites vigies de Riou et de Marseille-Veire, et que leurs appointements soient augmentés de 6 gros par mois. Et, attendu que Riou a 3 gardiens, il y en aura toujours 2 au poste, et le troisième pourra aller aux vivres. Quant aux deux gardiens de Marseille-Veire, ils y demeureront constamment, excepté le samedi , jour où l’un d’eux pourra venir en ville pour faire les provisions de toute la semaine. Dans les cas où ils manqueraient aux prescriptions qui précèdent, ils seraient punis d’une retenue d’un mois de solde. »
Le viguier qui présidait ce conseil se nommait Pons de Rasaud.
Le nombre des gardiens ou surveillants était donc de 3 à Riou et de 2 à Marseille-Veire. Il y en avait 2 pareillement à ND de la Garde. Leur nombre parait n’avoir jamais changé à ce dernier poste ; mais il n’en a pas été de même aux deux autres , où il fut augmenté dans des circonstances que nous rapporterons. La solde différait selon la station. Ceux de Riou, les plus éloignés, les plus exposés, étaient les mieux rétribués ; venaient ensuite ceux de Marseille-Veire et enfin ceux de la Garde. La proportion qui existait entre leurs salaires, au commencement du XVe siècle , se déduit du mandat suivant où ils se trouvent réunis :
« Nous, les syndics et les six conseillers du syndicat de Marseille, mandons à vous, Rabastenc de Roquefort, trésorier général de la dite-ville, que des deniers de votre trésor, vous donniez et payiez à Dominiqe Stornel, Monnet Gilhan et Louis André , gardes de l’île de Riou ; item, à Pons de Servières et Pierre Alfant, gardes de la montagne de Marseille-Veire ; item, à Antoine Capel et Antoine Blancard, gardes de la Tour de la Garde, pour leurs gages d’un mois qui doit commencer demain 24 du présent mois de février et finir le 24 mars prochain, savoir : aux gardes de Riou , 15 florins d’or ; item, aux gardes de Marseille-Veire, 8 florins d’or et quatre gros ; item, aux gardes de la Garde, 8 florins d’or ; ce qui fait un total de 31 florins et 4 gros du roi. Donné à Marseille sous nos propres sceaux, le 23 février 1408. »
Le florin se subdivisant en 12 gros, c’était, à Marseille-Veire deux gros de plus par homme qu’à ND de la Garde , et à Riou 10 gros de plus qu’à Marseille-Veire.
De 1384, date la plus ancienne à laquelle remontent nos renseignements à ce sujet, jusqu’en 1464, ou soit pendant quatre-vingt ans, les guetteurs de Riou furent salariés à raison de 5 florins par mois. En 1480 , nous voyons que leurs gages avaient été diminués et réduits à 4 florins, ce qui était cause qu’on n’en trouvait plus. La délibération du 20 avril de cette année en fait foi et élève la solde à 4 florins. Cette augmentation permit de rétablir le service, qui se continua ainsi avec plus de régularité que par le passé, jusques et y compris le mois de mai 1527. Ce fut pendant cette période qu’eut lieu le siège de Marseille par le connétable de Bourbon. Le siège commença le 19 août 1524 et dura 40 jours. Dès la fin de juillet, les gardiens avaient été retirés de Marseille-Veire et de ND de la Garde. On comprend qu’il n’en pouvait être autrement en présence de l’armée ennemie qui avait envahi la Provence ; mais ce que l’on s’explique moins aisément, c’est que la Vigie de l’île de Riou n’ait pas cessé de fonctionner ; c’est que le service y ait été fait pendant ces deux mois de siège, août et septembre 1524, aussi régulièrement que jamais, aussi paisiblement en apparence, et sans augmentation de salaire pour les préposés. En même temps que les maraudeurs du connétable désolaient notre territoire, la flotte espagnole était à Toulon et couvrait nos mers de ses bâtiments légers ; et cependant, après la levée du siège, on n’eut qu’à renvoyer à leurs postes les gardiens de Marseille-Veire et de ND de la Garde, pour que tout le système reprit sa marche accoutumée, ce qui eut lieu le 1er octobre. Les 3 citoyens qui maintinrent si bien leurs positions pendant cette crise se nommaient Helion Gastel, Petit Jean Baissanet et Antoine Baume.
Nous venons de dire que la solde des guetteurs de Riou fut de 4 florins et demi jusqu’à la fin de Mai 1527. Un déplorable évenement, survenu à cette époque , la fit de nouveau modifier . ce qui n’était pas arrivé au milieu des périls d’une guerre acharnée, arriva tout-à-coup lorsqu’il n’y avait plus à redouter que les dangers ordinaires, auxquels on était pour ainsi dire habitué. Les 3 gardiens de Riou, et les 2 gardiens de Marseille-Veire furent assassinés. Comment ce malheur fut-il accompli? Personne aujourd’hui ne peut le savoir , car ceux-là même qui nous en ont transmis le souvenir ne songeaient guère à le raconter. C’est par des fragments de phrases insérées dans des pièces comptables , dans l’unique intention de motiver les dépenses, que le fait est venu jusqu’à nous.
Nous ne saurions donc mieux faire que de traduire ici les mandats eux-mêmes ou les bullettes , comme on les nommaient en provençal. Mais, auparavant, quelques mots d’explication sont nécessaires sur la forme de ces bullettes ou mandats.
L’année administrative commençait à Marseille le 1er novembre et finissait le 31 octobre suivant. Pour payer les appointements du premier mois ou du mois de novembre , on expédiait un mandat au nom de chacune des parties prenantes. C’était une bullette particulière. Quant aux autres mois , on simplifiait la besogne en faisant un seul mandat pour tous les services, mais en ayant soin d’y indiquer toutes les parties prenantes, ainsi que le nombre des mandats particuliers résumés dans ce mandat général. Cela s’appelait alors une bullette pour tout l’ordinaire du mois.
En faisant l’application de ces usages aux pièces comptables qui vont suivre, on reconnaitra que la première de ces pièces est une bullette pour tout l’ordinaire, et que les 3 autres sont des bullettes particulières, tout comme le mandat que nous avons déjà reproduit.
« Le 30 juin 1527, nous Jean de Cepede, Cosme Boticari et Antoine Mouton, consuls, mandons à vous Jacques de Bricart, trésorier-général de cette ville de Marseille, que, de l’argent de votre trésor, vous payiez à maitre Jean Leclerc, notaire de la dite ville, aux 3 valets des consuls, et au trompette, aux gardes pour la nuit des tours et des murailles, aux gardiens de ND de la Garde et au peseur de la farine au poids de Lauret (Ce sont 5 bullettes seulement , à cause que les fustes ont débarqué et tué les gardiens de Riou et de Marseille-Veire.) leurs gages d’un mois de service commencé le premier et fini le dernier du courant, an atribuant à chacun sa quote-part, ainsi qu’il est dit dans les cinq bullettes originales, lesquelles se payent ordinairement tous les mois et font ensemble la somme de quarante florins et 10 gros. »
« L’an et le jour susdits, nous, etc, mandons, etc., que vous payiez à sieur Louis Négrel et à son fils et à Pierre Vailhe, gardiens chargés de la garde de Marseille-Veire et de renfort, à cause des fustes des Turcs qui ont tué les gardiens de Riou, leurs gages tant ordinaires qu’ extraordinaires pour 15 jours de service, commencés le 15 et finis le dernier du présent mois, à raison de 5 florins par mois pour chacun, c’est à savoir , pour les trois, 7 florins et 6 gros. »
« Le 31 août nous, etc ., mandons, etc ., que vous payiez, etc.,à un lahut armé qui est allé , par notre ordre, pour découvrir si nos gardiens étaient à Riou, lequel lahut, ainsi que les gens du quartier de St Jean qui le montaient ont été pris par les fustes, six gros que nous avions promis par homme, ce qui fait monter le tout tant pour la perte du lahut que pour les gens à 7 florins. »
« Le 30 septembre 1527, nous, etc., mandons, etc., que vous payiez, etc., aux trois gardiens chargés de la garde de Riou, leurs gages ordinaires d’un mois de service, commencé le premier et fini le dernier du courant, à raison de 2 écus sols par mois pour chaque hommes, ainsi convenu depuis que les fustes des Turcs ont tué les autres gardes de Riou , ou soit en tout 20 florins. »
Ces quelques pièces, malgré leur laconisme, nous apprennent que la catastrophe eut lieu à la fin du mois de mai ou au commencement du mois suivant, puisque c’est à partir du premier juin que les 2 postes furent abandonnés. Le lahut dut être expédié vers la même époque et au premier soupçon que l’on eut de la disparition des guetteurs. Ce fut un malheur de plus, puisqu’il fut pris et que les marins furent indubitablement massacrés ou réduits en esclavage. Elles nous apprennent que la Vigie de Riou demeura 3 mois sans gardiens, et qu’on n’en put trouver, au bout de ce temps, qu’au moyen d’une forte augmentation de salaire, qui , de 4 florins 6 gros, fut élevé à 6 florins 8 gros. Elles nous apprennent aussi que l’on se hâta de réorganiser la station de Marseille-Veire, laquelle ne resta inoccupée que 15 jours ; mais ce ne fut pas sans sacrifices, puisqu’on y mit un homme de plus et qu’on augmenta la solde de 10 gros par mois. Toutefois , au 1er septembre, dès que l’on eut rétabli le poste de Riou, celui de Marseille-Veire fut réduit, comme précédemment à deux gardiens auxquels la somme de 5 florins resta acquise. Enfin, la dernière bullette nous apprend en outre que 6 écus sol valaient 20 florins , ce qui fait ressortir l’écu sol à 3 florins 4 gros.
Jusqu’à l’année 1543 les appointements des 3 gardiens de Riou furent maintenus à 6 florins 8 gros. En 1564, ils furent portés à 8 florins ; ils atteignirent , en 1570, le chiffre de 10 florins, qui demeura stationnaire pendant environ 12 ans. Enfin , en 1583, les gardiens reçurent 12 florins. C’est peu après que parait s’être perdu l’usage de compter en florins. Ainsi, dès 1587, la paie fut stipulée comme étant de 3 écus, du ciel , mais il ne fut plus question de cette dernière monnaie.
Les agitations du temps qui suivirent exercèrent leur influence sur le modeste établissement de Riou Il n’y eu rien de stable dans le nombre, ni dans le salaire des guetteurs. Ainsi, au mois de Mai 1591, on mit un homme de plus, ce qui les porta à 4. L’année d’après on éleva les gages à 4, puis à 5, puis à 6 écus ; en 1593, 1594 et 1595, ils furent à 4 écus d’or au coin de France. Dans la seule année de 1596, il y eut d’abord quatre, ensuite deux, puis encore quatre gardiens qui eurent tantôt 4 écus 48 sous, tantôt 3 écus 36 sous, tantôt 3 écus 6 sous, tantôt enfin la somme excessive de 7 écus 12 sous, La comptabilité en écus ne fut pas de longue durée, car, en 1602 ils disparurent à leur tour pour faire place aux livres.
La vigie de Riou, qui devait cesser de fonctionner avec le XVII ème siècle, le commença donc avec 4 gardiens, à raison de 10 livres 16 sous par mois. Nous avons la preuve de la permanence de cet état de choses jusqu’en 1636. Après cette date , une longue et regrettable lacune nous prive de tout renseignement. C’est seulement en 1689 que nous retrouvons la station encore en activité , mais il n’y a plus qu’un seul homme payé 15 livres . Il y a en outre des intermittences dans le service, délaissé ou repris selon les besoins du moment. Enfin, en 1695, on voit reparaître deux gardiens, le père et le fils, Tarrus Nicolas et Tarrus Louis , qui salariés à 45 livres pour deux, occupent la vigie pendant les mois de juillet, d’août et de septembre. Nous les avons nommés, parce qu’ils furent les derniers guetteurs de Riou. Le poste fut abandonné sans retour.
Ce sont les anciennes pièces comptables des archives de l’Hotel de Ville qui nous ont fourni les indications les plus précises sur le personnel de cette station. C’est encore à la même source que nous puiserons pour donner des détails sur le matériel mis à la disposition des guetteurs. Cependant , comme malgré les interruptions fréquentes que présente la suite de ces documents, ce qui en reste dépasserait de beaucoup les bornes de ce simple récit, nous nous contenterons d’y faire un choix qui puisse donner une idée de l’établissement qui nous occupe.
L’article de première nécessité, pour les gardiens de l’île, était un bateau. Ce bateau, bien qu’on le halat à terre quand on ne s’en servait pas, était, ainsi que ses agrès, sujet à des réparations et à des renouvellements fréquents.
Le 4 août 1477, la ville fit rembourser au trésorier qui en avait fait l ‘avance : « Pour cinq cannes de toile pour faire la voile du bateau de Riou et pour cordages achetés de Bernard Bouquier, 1 florins 2 gros. »
Le 2 juin 1479, le trésorier présenta un mémoire où on dit : « La ville doit, pour un cordage acheté pour tirer le bateau de Riou à terre, 7 gros. »
Le 25 juin 1482, on paya à Johannon Teysseyre, pour le radoub du bateau de Riou, un compte dont voici le détail : « Primo, pour 50 livres de poix, 1 florin 6 gros ; plus, pour 100 livres de vieux clous de barque, 3 gros ; plus, pour 20 livres d’étoupe, 10 gros ; plus, pour le chaudron, 1 gros ; plus, pour 100 sarments, 2 gros ; plus, pour les calfats, 1 florin 3 gros ; plus, pour une paire d’avirons, 1 florin ; total 5 florins 1 gros. »
En 1522, on acheta un bateau, et le 14 mars les consuls délivrèrent au trésorier Jaumet Vento un mandat que nous transcrivons sans le traduire : Nos avem mandat et commandat que retenga devers si, metta et dedusca en sos comptes et receptas soes assaber la soma de florins quinze, losquals a desborsats et pagats per nostre commandament per ung batel per la gardia de Riou, que ladicha cieutat a comprat de sen Barthomeu Florentin, que monta la susdicha soma, florins XV. »
Le 10 décembre 1528, on fit cet autre mandat : « A maître Johannon Besson la somme de huit écus sols, huech escus sol, et cela pour un bateau qu’il nous a vendu pour la garde de Riou, à cause que l’autre est tout rompu, et ne peut plus servir. »
Rien ne serait plus facile que de multiplier ces preuves de fournitures d’agrès, de réparations ou d’achats de bateaux effectués tant que la surveillance fut maintenue. On nous permettra, pour abréger, de passer aux autres accessoires de la station.
La cabane, complètement détruite aujourd’hui, fut réparée en 1480. L’article du compte trésoraire qui le constate est daté du 10 novembre et s’exprime ainsi : « Nous avons payé pour une douzaine de planches de bon bois, destinées à la cabane de Riou, pour 100 clous, deux tarières et deux chevrons, la somme de 1 florin 7 gros. »
C’était, avons-nous avancé, par le moyen d’une échelle que l’on pénétrait dans la tour. A l’appui de ce fait, nous lisons dans un article de compte trésoraire de 1484 : « Le 29 avril , j’ai donné à Renaud Boyer, pour un cordage et pour faire l’échelle de Riou pour monter en haut, 7 gros et demi. « Dans un mandat du 26 novembre 1530, se trouve encore compris le prix d’une échelle pour la vigie de Riou.
L’appareil spécialement destiné aux signaux se composait : 1° d’un mât ; 2° d’une voile ; 3° de poulies et de cordages. Cet appareil toujours fonctionnant et sans cesse exposé sur cette cime élevée, à toutes les intempéries des saisons, se déteriorait rapidement et exigeait un entretien continuel.
Le mât ou l’arbre, comme l’on disait alors, dut renouvelé en 1384. Ce fut Antoine Raimond, dit le Levrier, qui le fournit et le transporta à l’île de Riou. On lui paya, le 3 septembre, 8 gros pour la fourniture et 2 gros pour le port.
Le 14 Novembre 1475, Antoine Court en livra un autre du prix de 1 florin 10 gros. Celui-ci ne dura guère, car il fut remplacé par un nouvel arbre, acheté le 20 septembre 1480 du nommé Castille pour la somme de 1 florin 1 gros. Il parait que Castilhe avait vendu un mâtereau brut, puisqu’on le fit façonner par Jacques Martin à qui l’on donna 9 gros pour sa peine. Il fut ensuite transporté du rivage de Riou à la tour par quatre homme qui reçurent 2 gros chacun.
La voile, les cordages et les poulies, on le croira aisément, nécessitaient des réparations et des remplacements encore plus fréquents. Aussi demanderons-nous la permission de ne pas nous y arrêter.
Quant à la manière dont on employait cet appareil, nous l’avons trouvée dans un mémoire ou plutôt dans une instruction sans date, mais qui, par l’écriture, le style et l’orthographe, nous paraît se rapporter à la première moitié du dix-septième siècle. Cette instruction, rédigée pour les guetteurs de Notre-Dame de la Garde, est évidemment applicable à tous les postes, attendu que leur installation était identique, sauf quelques accessoires dont ND de la Garde seule était pourvue. Nous la transcrivons avec la plus scrupuleuse fidélité.
« Mémoire
de ce que les gardes de Notre-Dame de la Garde doivent faire. »
« Premièrement l'ors que Marseille veire leur faict signal sy ledict signal est de vaisseau, lesdictes gardes doibvent incontinant mettre la voille, et sy leur faict signal de gallères, doibvent aussi en mesme temps mettre la voille et, la baisse par trois ou quatre fois advant que larrester pou fere signal a la ville que c’est voille de gallères, et fault tenir tousjours ladicte voille jusques à ce quil voit paroistre le vaisseua ou gallère, et l’hors quil voict le vaisseau, doibt mettre incontinant le penon de vaisseau, sçavoir :du cousté du levant, sil vient du Levant ou de Ponant, sil vient du Ponant ; et sil paroist pluzieurs vaisseaux, il met autant de penons comme il se voit de vaisseaux et s’il est gallère, il met incontinant la bannière avec le penon de gallère, et pluzieurs penons sil voit pluzieurs gallères, sans lever la voille ni le penon que les vaisseaux ou gallères nayent-donné fonds.
Et lors que Marseille-veire leur fera signal de pluzieurs vaisseaux ou gallères , lesdites gardes doibvent fere le mesme signal à la ville qui leur sera faict de Marseille-veire quest, savoir : de jour, par fumée, et de nuit, par feu. »
Ainsi, outre l’appareil commun aux trois vigies, celle de Notre-Dame de la Garde possédait une série de bannières et de pennons.Quant à celle de Marseille-veire, nous voyons qu’elle faisait de la fumée le jour et du feu la nuit. Or pour faire de la fumée et du feu, il faut du combustible. Les guetteurs s’en procuraient facilement dans les propriétés voisines. C’est encore un mandat qui nous en apporte la preuve.
Le 31 juillet 1696, à François Puget la somme de 140 livres à quoy nous avons réglé le prix du bois que les gardes de Marseille-veire ont enlevé de son fonds et brulé pendant les deux dernières années pour faire tous les soirs et matins des feux et signaux qui avoient été ordonnés auxdits gardes pour nous advertir en cas que l’armée navale des ennemis s’approchât de nos mers. »
Au moment où cette somme fut payée, il y avait plus d’un an que la vigie de Marseille-veire, supprimée avec celle de Riou, n’existait plus, et l’on conçoit que le propriétaire ait réclamé le règlement de ce qui lui était dû. Ce propriétaire n’était autre que le fils du grand sculpteur Pierre Puget. Il avait recueilli dans la succession de son père un jas ou bergerie avec un ténement de bois au pied de la montagne. Le jas, situé dans une petite gorge qui conduit à la grotte de Roland, existe encore et s’appelle toujours Jas Puget.
Les gardiens de Riou, de même que ceux de Marseille-veire, faisaient de la fumée le jour et des feux la nuit. L’expression Faronus, employée dans le texte des délibérations du 23 juin 1326 et du 18 août 1332, où les trois vigies sont désignées par leurs noms, ne permet aucun doute. Mais comme le combustible croissait dans l’île, qui était une propriété communale, et que la ville n’avait rien à débourser pour cet objet, il n’en est pas question dans les écritures. L’île était donc boisée et le serait encore aujourd’hui pour peu qu’on voulut favoriser le reboisement. Le figuier sauvage, la clématite, la scille s’y rencontre fréquemment , ainsi qu’une multitude d’autres plantes qui feraient la joie d’un botaniste et qui démontrent que ce sol, si aride au premier coup-d’oeil, n’a pas perdu sa fécondité.
Pendant plusieurs siècles et jusqu’à la loi du 24 août 1793 qui en a attribué la propriété à l’état, les herbages de ce groupe d’îles ont été affermés aux enchères par la ville. En 1584, ils l’étaient à Aymar de Champorcin au prix annuel de 25 écus 30 sous ; en 1612, Jean-Baptiste de Villages le prit pour 36 livres ; en 1614, c’était François de Caradet qui les obtenait à 62 livres. Après quoi le taux du fermage diminua graduellement. On le vit au dix-huitième siècle s’abaisser jusqu’à 12 livres, puis se relever à 80, puis retomber encore pour se réduire à rien. Cet avilissement de la valeur des herbages provenait de la dévastation toujours croissante, occasionnée par les troupeaux de chèvres qu’on y lachait pendant des saisons entières et qui s’y rendaient tout-à-fait sauvages. D’ailleurs depuis la suppression de la vigie et des gardiens, il n’y avait plus aucune surveillance et quiconque voulait y débarquer pouvait y faire tout ce qui lui plaisait.
L’île de Riou était un désert lorsque les anciens Marseillais y jetèrent les fondements de leur troisième station.
Jusques en 1695, elle n’eut pas d’autres habitants que les guetteurs et redevint déserte après leur suppression. En 1720, année de la peste, on dit que des pêcheurs, fuyant la contagion, s’y réfugièrent avec leurs familles pendant plusieurs mois. La tradition ajoute qu’une jeune fille y naquit pendant cette émigration et qu’elle eut par la suite une sorte de célébrité dans le quartier St Jean, à cause du lieu de sa naissance. Si le fait est exact, et il n’a rien d’invraisemblable, c’est assurément la seule fois qu’un être humain sera venu au monde sur ces rochers.
L’île, il y a une quarantaine d’années, ne jouissait pas du bon renom auprès du fisc et surtout de la douane. Ce n’était pas sans motifs, car elle servait à faciliter une active contrebande. Les navires fraudeurs, en passant au Sud de Riou qui, même en plein jour, les dérobaient à la vue de la côte, jetaient les ballots prohibés dans un bateau, lequel, après les avoir cachés dans quelqu’une des nombreuses excavations du Mauvais Pays, regagnaient la terre à vide. Puis on attendait une nuit propice, bien noire, bien froide, et les contrebandiers, tous gens des environs, allaient chercher les marchandises et tentaient le débarquement. Si la vigilance des douaniers était éveillée, si la tentative échouait, on en était quitte pour reporter les ballots dans leur cachette et pour recommencer une autre fois. Il y a eu des objets précieux qui ont ainsi passé plusieurs mois dans des trous de rochers et qu’on a peut-être essayé dix fois de verser à la côte sans y pouvoir réussir.
Si, pendant la belle saison, au mois de juillet par example, vous abordiez à Menesteirol, vous y verriez probablement à l’ancre une ou deux barques catalanes soigneusement recouvertes de leurs tentes. Le patron de chaque barque est seul à bord avec le mousse. Le reste des équipages, dispersé dans des batelets, se livre à la pêche au corail entre le cap Croisette et Cassis. Cette pêche, autrefois l’une des occupations favorites de nos concitoyens et l’un des éléments importants de leur commerce, est aujourd’hui délaissée aux étrangers. Nous n’avons plus depuis longtemps de corailleurs indigènes.
L’industrie toutefois, cette reine de nos jours, n’a pas dédaigné l’île de Riou. Elle a mis en exploitation un riche dépôt de sable qui y a été reconnu depuis quelques années. C’est un sable gros et grenu, tantôt jaune et tantôt grisâtre, que l’on emploie journellement au pavage de nos rues. Une maison a été édifiée à Menesteirol pour servir de logement et d’auberge aux quelques ouvriers occupés à l’exploitation. L’amateur des parties de mer peut aujourd’hui sans crainte se hasarder jusque là. Il est assuré d’un refuge et d’un abri en cas de mauvais temps.
L’importance et l’utilité de la station de Riou ont disparu du moment où la piraterie a été réprimée, du moments où nos rivages, protégés par une imposante marine, ont cessé d’être livrés aux déprédations des écumeurs des mers. On a de la peine à croire à l’audace que déployaient autrefois les corsaires barbaresques dans leurs expéditions. Montés sur des galères ou, plus souvent encore, entassés au nombre de deux ou trois cents sur des schebecs allongés et bas sur l’eau, livrant aux vents des immenses triangles de leurs voiles fauves, s’aidant au besoin de quinze ou vingt paires d’avirons, ils apparaissaient à l’improviste sur les côtes sans défense, détruisaient le matériel flottant, mettaient les hommes à mort ou les emmenaient en captivité, et opéraient fréquemment des débarquements dans le but de piller, de ravager et de faire des esclaves. Les maux que causaient ces bandits étaient d’autant plus grands qu’ils avaient parmi eux des rénegats jaloux de se signaler et qui, connaissant les localités, devenaient aussi dangereux pour leur compatriotes, qu’ils étaient utiles à leurs nouveaux compagnons.
Les mesures de précaution que les magistrats étaient dans le cas d’ordonner pour la sûreté des pêcheurs seulement, démontrent jusqu’à l’évidence, l’étendue des périls que présentait la moindre excursion en mer.
Le 13 juin 1319, en l’absence de noble et puissant seigneur Pierre d’Audibert, chevalier, viguier de Marseille, le sous-viguier Guillaume de Conchis rendit l’ordonnance suivante qui fut aussitôt publiée au son de trompe, dans tous les lieux accoutumés de la ville, par Jacques Lique, crieur public juré.
« Il y a mandement et commandement de notre seigneur le Roi de Jérusalem et de Sicile et de son viguier :
Que tout patron de barque de pêcheurs, quand il ira pêcher, porte une arbalète, un écu et 25 carreaux, sous peine de 25 livres d’amende.
Que les consuls des pêcheurs y veillent de telle façon que cela soit exécuté, ainsi qu’il est dit ci-dessus, sous la même peine.
Que chaque patron de barque qui ira à Planier, y porte 100 pierres et les y laisse pour la défense de la tour.
Que personne ne se permette d’enlever aucune de ces pierres.
Et qu’aucun pêcheur ne fasse du feu la nuit, le tout sous la même peine. «
Quant aux rénégats, la participation de ces misérables aux entreprises des corsaires est si avérée, que nous n’hésitons pas à attribuer à leur complicité le meurtre des gardiens de Marseille-veire et de Riou en 1527. Et d’abord les victimes durent être surprises pendant la nuit.
Quand on est monté à la Tour de Riou et qu’on a jeté un coup d’oeil autour de soi, on ne peut pas admettre que trois hommes s’y soit laissé surprendre pendant le jour, trois hommes qui devaient être sur leur gardes et dont l’unique occupation et le suprême intérêt était de surveiller la mer. Si par impossible, les pirates avaient réussi à prendre terre sans être vus, ils auraient été découverts dans l’île avant d’atteindre la tour où les gardiens auraient eu le temps de se réfugier et où ils se seraient défendus. Le débarquement a donc eu lieu pendant la nuit. Bien que du rivage au sommet de l’île le chemin ne soit ni long ni qu’il est aisé de le trouver. Les corsaires le connaissaient donc. Mais c’est bien autre chose à Marseille-veire. La simple cabane qui servait de vigie est à environ deux kilomètres à l’intérieur des terres . Le sentier qui s’y dirige est le plus difficile, le plus scabreux de toute la contrée. Il ne suffit pas d’y avoir passé plusieurs fois pour être sûr de ne pas s’égarer, même en plein jour, et ce n’est pas une horde de brigands étrangers qui auraient pu y parvenir pendant la nuit. De ces faits nous tirons la conclusion que le massacre eut lieu à la suite d’une surprise nocturne, conduite, guidée, peut-être organisée par des gens du pays , par des rénégats.
Du reste, ces déprédations, ces débarquements, ces rapts d’esclaves et tous les autres actes de brigandage que peuvent commettre des barbares sans frein et sans pitié, se sont continués jusqu’à une époque où l’on s’étonnera peut-être de les voir s’accomplir. En 1661, en plein règne de Louis XIV, des pirates algériens vinrent capturer un navire marchand jusques sous les murs de la Major, mirent pied à terre à Cale-Longue, dans l’île de Jarre, enlevèrent des bateaux pêcheurs, firent de nombreux prisonniers, sans que personne dans notre ville désarmée eût les moyens de les en empêcher, et ne se retirèrent enfin qu’à l’apparition inopinée d’une escadre de 6 galères napolitaines.
Afin que l’on ne nous taxe pas d’exagération, nous céderons la parole aux échevins du temps, qui ont consigné tous ces faits dans un long procès-verbal que nous abrégerons le plus possible, tout en respectant le style.
« Savoir faisons, nous, Louis Borelly, sieur de Brest, et Jean-Baptiste Dupont, ecuyer, echevins, etc..., que nous étant rendus dans la maison de la ville le 28 de ce mois de juillet 1661, sur l’heure de six à sept du matin, à l’accoutumée, pour vaquer aux affaires publiques, nous aurions été étrangement surpris de la nouvelle qu’on nous donna de ce que trois galère d’Alger avoient paru dans ces mers entre le château d’If, la chaine et les murailles qui ferment l’endroit de la ville auquel l’église majeure se trouve construite, lesquelles avoient volé une barque venant de Catalogne ; sur lequel bruit et l’alarme que tous les pêcheurs , leurs femmes et enfants eurent de ce que leurs maris ou leurs pères ou leurs enfants étoient sortis ce même jour, au nombre de plus de cent cinquante tartanes ou bateaux avec leur train pour la pêche, accompagnés de cris et de pleurs, causèrent un si grand vacarme dans la ville que les principaux et tout le reste d’icelle furent sensiblement touchés, etc...
...Etant nous rendus, le lendemain 29 dudit mois, dans ladite maison de ville, pour vaquer aux affaires, il se seroit assemblé grand monde aux environs d’icelles et nous aurions même eu peine à contenir les plaintes des habitants du quartier de St Jean, qu’ils faisoient contre le sieur de Pilles et en sa présence et en son absence, sur ce que ses garnisons des îles du château d’If et de Ratonneau et de St Jean n’avoient fait signal quelconque ni tiré aucune canonade contre lesdits corsaires, disant que s’ils eussent tiré, les pauvres pêcheurs se fussent retirés, etc...
... Ayant la suite du temps découvert que lesdits corsaires avoient fait plus de soixante esclaves, ne l’ayant pu connaitre qu’en tant que ces pauvres gens ont disparu, ne s’étant lesdites galères retirées que par la découverte qu’elles firent de six galères de Naples chargées d’infanterie, lesquelles sont arrivées ce matin aux îles du château d’If ; ayant appris de quelques particuliers qui se sont garantis de la prise et principalement de l’un des gardes de Marseille-veire, qu’il y avoit grand nombre de rénégats provençaux qui lui crièrent : Bélitre, C..... nous savons que vous n’avez pas de quoi tirer un coup de pistolet ; nous voulons en charrier des milliasses. Et ils auraient appris la même chose de quelques autres qui dirent avoir vu plusieurs officiers ou particuliers desdites galères qui mirent pied à terre à un endroit appelé Jarre et à Cale-Longue où ils avoient ravagé quelques bateaux. Etant certains que lesdites galères n’auroient disparu sans la venue de celles de Naples, etc.. etc.. »
Grâce à Dieu, ces temps désastreux sont bien loin de nous. Les gouvernements qui se sont succédé ont compris qu’il fallait, avant tout, faire respecter le sol du pays et protéger les populations inoffensives. Des batteries ont été construites sur tous les points exposés, et l’ennemi, barbare ou civilisé, pirate ou simple croiseur, a été forcé de se tenir à distance. Enfin un cordon de postes d’observation a été établi pour relier entre elles toutes les positions du littoral. La création d’un si vaste système a naturellement absorbé celui des anciens Marseillais. Toutefois, leurs stations avaient été si bien choisies que deux sur trois ont dû faire partie de la ligne moderne. Nous avons vu jusqu’en 1814, les sémaphores de ND de la Garde et de Marseille-veire recevoir et transmettre les signaux que l’état de guerre nécessitait. C’est à la paix seulement que celui de Marseille-veire a cessé de fonctionner. Quant à Notre Dame de la Garde, nous le répétons, elle fonctionne toujours, en temps de paix comme en temps de guerre. Elle fonctionnera aussi longtemps que Marseille existera.
L’établissement de l’île de Riou est maintenant en ruines ; sa cabane est rasée au niveau du sol ; c’est à peine s’il en reste des vestiges. Sa vieille tour, déjà réduite des trois quarts, achève de s’égrener pierre à pierre ; bientôt on se demandera si les cartes n’ont pas commis une erreur en marquant une tour en ce lieu ; enfin il est oublié, si bien oublié qu’il n’y a pas un pêcheur à Marseille qui ait conservé la tradition d’une vigie à Riou. Et cependant, poste avançé, sentinelle perdue au milieu des flots, elle a rendu bien des services à nos ancêtres ; elle a bien souvent le signal d’alarme qui a sauvé nos marins de la mort et de la captivité, nos navires et nos marchands, du pillage et de la ruine. Voilà pourquoi nous avons voulu qu’une voix au moins protestât contre cet injuste oubli et pourquoi nous avons raconté ce que nous avons pu recueillir à ce sujet. Aujourd’hui le 1er janvier 1859, il y a cent soixante-trois ans et trois mois que la vigie de Riou a cessé d’exister ; ce n’est pas trop tôt pour en faire l’oraison funèbre.
Assise au bord du rivage , baignée par les flots de trois côtés, ainsi que le dit Jules Cesar, Marseille n’avait presque pas la vue sur la mer. En effet que l’on se transporte sur cette partie de la ville qui seule y faisait face, c’est à dire sur ce qui naguère était encore une falaise comprise entre le fort Saint Jean et l’ancien abattoir ; partout où l’on s’arretera , on se trouvera au sommet d’un angle d’environ vingt-cinq degrés , dont la pointe du Pharo et les îles de la rade déterminent un côté et dont l’autre côté aboutit au Cap Couronne. Le point culminant de ce terrain étant l’esplanade de la Tourette, à dix-sept mètres au dessus du niveau de la mer. De cette hauteur, l’oeil rencontre l’horizon à seize kms ; tout ce qui est au-delà lui échappe. A moins donc de franchir l’enceinte de leurs remparts, c’était l’unique parcelle de la Méditerranée qu’il fût possible à nos pères d’apercevoir.
Puisque nous avons nommé Jules César, remontons si l’on veut , jusqu’à son époque : supposons-nous ses contemporains et admettons que notre ville s’étende vers le couchant jusques par delà cet écueil, maintenant absorbé par le nouveau port, que l’on nommait l’Estéou. A mesure que nous nous rapprochons de la mer, le front de la cité se rétrécit et la falaise s’abaisse pour se transformer en une plage. Du bord de cette plage, dont le contour probable est indiqué par une ligne de points dans le plan de Marseille levé en 1808 par l’ingénieur Demarest ; du bord de cette plage, disons-nous, le regard peut embrasser, il est vrai, un arc un peu plus grand que du haut de la Tourette, il peut même saisir vers le Sud-Ouest une étroite échappée entre la pointe du Pharo et l’île de Pomègues ; mais comme nous nous trouvons à un niveau bien inférieur, ce n’est plus à seize kilomètres au large que notre vue portera, mais tout au plus à cinq ou six.
Evidemment, ni la plage du temps de César, ni la Tourette, malgrè le nom de Miradour qu’elle porta au moyen-âge, ni aucun poste dans l’intérieur des murs n’était propice pour cette surveillance qu’une population de pêcheurs, de navigateurs, de commerçants avait un si grand intérêt à établir large et complète. Ils durent s’en convaincre bientôt et bientôt aussi se mettre en quête de stations plus convenables pour leur vigies.
Il était sous leurs yeux une position que la nature semblait avoir ménagée tout exprès pour cet usage. Isolée de tout autre groupe, dominant le pays dans un rayon de plusieurs lieues, distante à peine de quatorze cent mètres des rives de la vieille ville, la colline de la Garde était une station des plus admirables. Rien de ce qui arrive par les routes de terre ne peut échapper au guetteur,et , de ce côté, l’exploration est si facile qu’il parait impossible de désirer mieux. S’il n’en est pas tout à fait ainsi du côté de la mer, il n’en est pas moins vrai que du sommet de cette colline , situé à 173 mètres au dessus du niveau des eaux, on peut découvrir au large jusqu’à la distance de cinquante kms, et cela entre l’île Maire et les graus du Rhône, c’est-à-dire embrassant un arc de 80 degrés. Aussi les Marseillais se hatèrent-ils d’y élever une tour et d’y installer un service de signaux. Cette tour était appelée dans le latin de la basse latinité : Turris de Gardia, la Tour de la Garde. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que c’est le même nom qui s’est perpétué jusqu’à nous, d’âge en âge par la tradition, et de langue en langue par la traduction.
Tant que Marseille fut en paix, la Tour de la Garde put lui suffire . Cela ne fait pas l’ombre d’un doute, puisque la vigie établie au même lieu suffit encore aujourd’hui. Toutefois l’excellence de cette station ne va pas jusqu’ànous assurer une surveillance satisfaisante en temps de guerre maritime. De Marseille au cap Croisette, ou à l’île de Maire qui en est le prolongement, le rivage a sa direction générale du Nord au Sud ; mais au cap Croisette, il tourne brusquement par un angle presque droit pour courir vers l’Est. Cette seconde partie de la côte est tourmentée, abrupte, déchirée par de nombreuses échancrures et bordée de hautes montagnes dont parfois les versants tombent à pic dans la mer. Ici la Tour de la Garde n’est plus d’aucune utilité, et, pour tenir en observations la partie sud de notre territoire , c’est à d’autres positions qu’il faut recourir.
Mais ici encore, à point nommé, il s’est trouvé une montagne réunissant en grande partie les conditions désirables pour en satisfaire à ces nouveaux besoins. C’est la montagne appelée en latin Massilia-veire, et en français : Marseille-veire, deux corruptions du provençal : Marsilhoveire, qui signifie voir Marseille. Elle est tout à la fois la plus voisine du Cap Croisette et la plus haute de celles qui bordent la côte ; elle est élevée de 433 mètres au dessus de la mer. De là le regard découvre l’horizon à 60 kms, et l’arc qu’il peut parcourir n’a pas moins de 145 degrés entre le Cap Sicié et les basses terres de la Camargue. En un mot, la destination de cette montagne semble si clairement indiquée par la topographie, que les Marseillais n’hésitèrent pas à y poster une deuxième vigie.
Quand on est au sommet de Marseille-Veyre, on a presque à ses pieds tout un archipel peu connu en général de nos concitoyens. C’est d’abord l’îlot que les pêcheurs appellent Peirot et que les cartes s’obstinent à nommer Tiboulen, rendu célèbre par le roman de Monte-Christo ; c’est Maïre que nous avons déjà citée, et qui n’est autre que l’Immadras de l’itinéraire d’Antonin ; c’est ensuite Jarre , où l’on reléguait autrefois les navires qui avaient la peste à bord ; puis Cale-seragne, où il y a une grotte dite des Morts et une légende dont tout le monde parle, mais que personne ne sait. (Bouillon Landais se trompe,il n'y a pas de baume sur Plane; la Baume des Morts est sur Jarre. Ces morts ont été à tour de role les marins du Grand St Antoine, des soldats de Napoléon, et d’après Jean-Courtin parce qu’ils étaient soupoudrés d’ochre jaune des néolithiques) ; puis enfin, à 3 kms du rivage et au large de toutes les autres, l’île de Riou.
La côte qui fait face à ces îles, nous venons de le dire, est escarpée, accidentée et coupée par des criques nombreuses, parmi lesquelles nous citerons celles de Calelongue, de la Mounine, des Cairons, du Podestat, de Cortiou, de Sormiou,de Giparel, de Morgiou, de Segeton, de l’Oulle, de Vau, de Port-Pin et de Port-Miou près de Cassis, sans compter une foule de recoins innommés, et le tout dans une étendue de moins de 13 kms. Or de Marseille-veire on signale fort bien tout ce qui apparait au loin, mais on ne voit pas toujours ce qui est sous la côte , de sorte qu’il pouvait se faire que des embarcations ennemies vinssent s’y embusquer pendant la nuit et fondre de là, au moment opportun , soit sur des bateaux de pêche , soit sur les navires marchands venant reconnaitre l’attérage à leur arrivée.
A ce mal, il n’y avait qu’un remède, l’établissement d’une nouvelle vigie. Pour cette vigie il n’y avait qu’un point : l’île de Riou. Nous ne recherche
rons pas l’étymologie de ce nom ; nous dirons simplement qu’on écrivait indifféremment Mons ou Insula de Rivo, de Riau, de Rieu ou de Riou. Cette dernière forme est la véritable appellation provençale qui a prévalu. (il oublie de Rieuls) .
L’île de Riou s’étend à peu près de l’Est à l’Ouest, parallèlement à la terre ferme, sur des mètres. Elle est presque inabordable du coté de la haute-mer Cette partie est un véritable chaos , un labyrinthe inextricable de roches verticales, de blocs tombés, de crevasses, de ravins, de précipices qui lui ont mérité le nom de Mauvais Pays qu’on lui a donné. Du côté du Nord, l’île est facilement abordable sur plusieurs points. Celui que les visiteurs choisissent de préférence , est une petite anse à fond de sable appelée Ménesteirol. Elle est en face d’un vallon qui s’élève vers le centre de l’île et qui se termine à un énorme rocher affectant une forme conique. Au bas de ce cône, on rencontre une citerne ou un réservoir d’environ deux mètres en tous sens , destiné à recevoir l’eau de la pluie. Comme il n’y avait là aucune surface plane ou horizontale pour recueillir cette eau, on s’est avisé d’un autre moyen : on a creusé, au pied même du cône une étroite rigole qui en circonscrit la face antérieure et qui aboutit à la citerne , laquelle ramasse toute la pluie que le vent pousse contre les parois du rocher et qui n’a d’autre écoulement que la rigole. Le réservoir , élevé sur le sol, est en simple maçonnerie et en bon état, bien qu’il paraisse de construction ancienne (1442). L’eau s’y conserve parfaitement ; De là au point culminant de l’île , la distance est courte et on la franchit en quelques minutes ; Quoique cette ascension, à partir du rivage, ne présente aucun danger , il ne faut pas croire pourtant qu’elle soit exempte de difficultés ; la pente est rapide ; il n’existe aucun sentier frayé, et les avalanches de cailloux qui roulent sous les pas du touriste embarrassent et retardent sa marche.
La crête qui forme le sommet de Riou est couronnée par trois mamelons ; celui du milieu, qui est le plus élevé , présente un plateau arrondi d’environ 6 mètres. C’est là que les Marseillais établirent leur troisième vigie. Elle consistait en une tour circulaire , presque ruinée aujourd’hui, mais dont ce qui reste peut donner quelque idée . Elle a 4 mètres de diamètre intérieur ; l’épaisseur des murs est de près d’un mètre ; elle est en maçonnerie ordinaire et construite avec beaucoup de soin ; Il y avait dans l’intérieur, une citerne creusée dans le roc et voutée en pierres ; elle était revêtue de béton à la pouzzolane. Elle occupe le côté nord de la tour. A la partie opposée on remarque dans l’épaisseur du mur, un enfoncement qui parait avoir été une cheminée. Enfin, à côté et un peu au-dessus de la cheminée, se trouve une petite fenêtre cintrée, en briques, de soixante cms dans toutes ses dimensions. Nous n’avons aucune donnée directe sur la hauteur de l’édifice, ce qui en reste ayant à peine 3 ou 4 mètres ; mais nous pouvons juger par analogie. Les vieilles tours de nos moulins à vent, auxquelles une grande solidité était nécessaire, ont exactement le même diamètre et la même épaisseur de muraillles que la Tour de Riou. On peut donc supposer que celle-ci était , à peu de différence près , de la même hauteur que les premières. Il n’y a du reste aucune trace de porte et probablement elle n’en avait pas. Mais les gardiens étaient pourvus d’une échelle, et c’était par ce moyen qu’ils y pénétraient.
La réunion de ces diverses circonstances, la force des murs, la cheminée , la citerne intérieure, l’absence de porte, indiquent suffisamment que l’on avait cherché à prémunir les habitants de ce lieu contre les dangers d’une attaque, toujours imminente dans une pareille situation .
A quelques mètres à l’Est de la tour et sur une partie de la montagne qui se trouve un peu en contrebas, on avait encore bâti une cabane de 3 mètres sur 2 mètres 75, ruinée maintenant jusqu’aux fondations. C’était pendant le jour, l’habitation ordinaire, l’abri des gardiens. Quant aux signaux ils les faisaient du haut de la tour, leur asile pendant la nuit, leur refuge dans tous les cas.
Ainsi se trouva complété le système de vigies des anciens Marseillais. De Riou , élevé de 192 mètres, on pouvait explorer un arc de 175 degrés jusqu’à la distance de 53 kms. Mais là, n’était pas sa plus grande utilité; c’était de pouvoir surveiller à revers toute la côte et de rendre impossibles les embuscades dont nous avons parlé.
Ce système, commandé par la topographie du pays, se composait comme on le voit de trois stations. Elles vont exactement du Nord au Sud et sont presque en ligne droite. Celle de Riou, la plus éloignée de la ville , en est à 13375 mètres, à vol d’oiseau. Marseille-Veire, poste intermédiaire, est à 5450 mètres de Riou et à 8130 mètres de nos quais. Nous connaissons la distance de la Tour de la Garde.
Malgré l’utilité de la station de Riou malgré la nécessité de celle de Marseille-Veire, lien indispensable entre les deux autres, ce fut toujours celle de la Garde qui fixa plus spécialement l’attention de nos concitoyens. Elle était immédiatement sous leurs yeux ; elle résumait toute la ligne ; elle fonctionnait constamment, en temps de paix comme en temps de guerre ; enfin elle les gardait si bien, qu’elle fut toujours pour eux la garde par excellence.
Mais lorsque le sanctuaire vénéré que nous voyons réédifié se fut élevé à côté de la Tour de la Garde, lorsque la sécurité résultante de signaux fidèlement transmis eut été ajoutée la certitude d’une intervention surhumaine, ce ne fut plus, parmi la population, cette simple préférence que l’on accorde parfois à un site utile ou qui plait : ce fut une explosion de reconnaissance qui délaissa les choses de la terre pour monter au ciel, ce fut un mélange de confiance et d’amour qui s’éleva jusqu’aux pieds de la divine protectrice, sentiment puissant et épuré que la religion seule sait perpétuer après l’avoir fait naître. Dès ce moment aussi la station changea de nom. Ce ne fut plus la Garde, ce fut Notre-Dame de la Garde. Dans ce simple changement de nom, il y avait tout à la fois un témoignage de gratitude pour les bienfaits déjà reçus et une invocation pour l’avenir.
Il semblerait que la ligne des postes que nous avons essayé de décrire dut se rattacher à un point quelconque dans l’intérieur de la ville. Un grand nombre de citoyens, il est vrai, pouvaient à toute heure du jour apercevoir les signaux de ND de la Garde ; mais il n’en fallait pas moins qu’il y eût des préposés spécialement chargés d’y veiller et d’aviser qui de droit lorsque le cas l’exigeait. Nous ne pouvons rien affirmer à cet égard, attendu que les renseignements font défaut. Il y avait des gardiens pour chacune des portes de la ville, cela est constaté dans une foule de documents. Mai y en avait-il pour observer ND de la Garde ? Nous n’avons recueilli de traces d’une surveillance de ce genre que dans la suite donnée à une supplique adressée; le vendredi 30 avril 1473, au conseil municipal, par Pierre Jacques, trompette de la ville.
Dans cette pétition, rédigée en provençal, Pierre Jacques expose que : « Si c’était le bon plaisir du conseil de lui accorder, pour lui et son ménage, au plus haut étage de la Maison-de-Ville, une chambre et une petite salle où il y a une cheminée, et au plus bas, telle partie qu’on voudra pour ses vendanges et son cellier, il y ferait volontiers sa résidence, tiendrait toujours la maison bien propre et serait lui-même plus facile à trouver quand on aurait besoin de lui. Il ajoute qu’ayant appris que l’on doit construire dans la dite Maison-de-Ville un escalier à vis qui montera jusqu’au plus haut du toit, il s’offre, quand la vis sera terminée, à faire le guet chaque soir avec sa trompette au plus haut de ladite vis(B) »
L’édifice dont il est ici question avait été construit sur l’emplacement de la maison de Jacques Favas, acquise par la commune le 14 novembre 1445, au prix de 800 florins d’or. Il fut démoli en 1653 pour faire place à l’Hôtel-de-Ville actuel.
Le conseil municipal accueillit la demande de Pierre Jacques, et lui accorda un logement dans la maison , aussi longtemps que cela conviendrait à la ville , et à condition que Jacques, de son côté, tiendrait les promesses de sa supplique.
Nous ne prendrons pas sur nous d’affirmer que Jacques avec sa trompette montât tous les soirs au sommet de son escalier tout exprès pour examiner ce qui se passait à ND de la Garde ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que, s’il s’y était passé quelque chose d’extraordinaire, il n’aurait guère pu manquer de s’en apercevoir.
Et puis, répétons-le c’est la seule apparence d’un service régulier d’observation, fait de l’intérieur de la ville , que nous ayons pu retrouver.
Malgré l’importance qu’il y avait pour les Marseillais à ce que la mer fût constamment surveillée, il arrivait assez souvent que les vigies manquaient de gardiens. La cause ordinaire de cet abandon était la pénurie du trésor. Marseille, qui, sous ses vicomtes, avait été la ville la plus riche de nos contrées, en était devenue la plus pauvre depuis sa soumission aux comtes de Provence. Elle leur avait aliéné tous ses revenus sans exception. Les comtes, en compensation s’étaient obligés à pourvoir de leurs deniers à toutes les dépenses qui intéressaient la ville et qui avaient été énoncées dans les chapitres de paix. Mais continuellement engagés dans les guerres de leur royaume de Naples, ils n’avaient pas plus d’argent que les Marseillais eux-mêmes. De là, souffrance et interruption des services publics les plus urgents.
Il va sans dire qu’un pareil oubli des plus chers intérêts de la cité soulevait d’energiques réclamations dans le sein du conseil municipal. Cette assemblée était, de droit, présidée par le viguier ou lieutenant du comte. C’était donc à lui que l’on s’adressait ; on l’interpellait, on le requerait, on le sommait en invoquant les traités. Dans ces circonstances, le viguier répondait ordinairement qu’il était prêt à donner des ordres pour la garde des vigies. Mais sa bonne volonté, feinte ou réelle, ne suffisait pas ; il existait un fonctionnaire d’un rang inférieur duquel dépendait tout en réalité ; c’était le clavaire ou trésorier chargé de percevoir les revenus du comte et de solder les dépenses. Lorsque le clavaire n’avait pas d’argent, ou qu’il disait n’en pas avoir, ce qui revenait au même, les ordres du viguier demeuraitent une lettre morte. On recourait alors aux expédients ; on empruntait, on imposait une taille, ou quelquefois on finissait par obtenir de percevoir temporairement une branche des revenus aliénés. Tout cela entrainait des longueurs, des difficultés, des tiraillements pendant lesquels le service ne se faisait pas.
Quelques citations doivent suffire pour apporter la preuve de ce que nous venons d’avancer.
Le 23 juin 1326, sous le règne de Robert, comte de Provence et roi de Naples, le conseil municipal, assemblé dans l’antique salle verte du Palais, prit la délibération suivante : « Enfin, il a été délibéré, sur la proposition de Hugues de Conchis, que le seigneur viguier serait requis , comme il l’est dès à présent d’ordonner que l’on place et que l’on maintienne les gardes ordinaires à la Garde, à Marseille-Veire et à l’île de Riou , pour faire les signaux nécéssaires à la sureté de la ville, de crainte que les habitants ne soient molestés par les ennemis du roi.
(Il y a dans le texte : Pro faronis faciendis. Le mot faronus signifie proprement un signal fait avec du feu. Nous l’avons traduit par l’expression générique : signal, attendu que , ainsi qu’on le verra , nos vigies faisaient encore d’autres signaux. )
Sous le même règne et peu d’années après , le 18 août 1332, on lit dans un procès-verbal d’une autre séance d’une autre séance : « Item, quant aux signaux ( le texte porte : Super facto faroni), il a plu au conseil de requérir le seigneur viguier qu’il les fasse faire à la Garde, à Marseilleveyre et à Riou. » Le viguier était Guillaume de Sabran, chevalier, seigneur de la Tour d’Aigues.
Le 24 Mai 1372, c’est à dire trente ans plus tard, au temps de la reine Jeanne, une autre délibération s’exprime ainsi :
« Primo, attendu les dangereuses incursions des Catalans, qui courent les mers de cette cité, exercent la piraterie avec des galères et d’autres batiments, et capturent les pêcheurs et les navigateurs, il a plu au conseil de requérir le seigneur viguier, pour qu’aux frais de la cour, ainsi qu’il y est obligé, tant à l’église de la bienheureuse Marie-de-la-Garde, qu’à Riou et à Marseille-Veire, les gardiens qui y ont été de toute ancienneté, afin d’éviter les dommages et les rapines dont se plaignent les pêcheurs et les navigateurs. »
Et le dit viguier a répondu qu’il était prêt, attendu que le fisc n’a pas d’argent , à faire une délégation sur les revenus de la cour, afin de solder les gardiens pour la sécurité des pêcheurs , des navigateurs et de tout autre. »
Le viguier qui fit cette réponse s’appelait magnifique homme Jean des Amics de Caramanique, chevalier et professeur de droit civil. Malgré la confiance que devait inspirer la promesse du magnifique Jean des Amics, nous avons lieu de croire qu’elle ne fut pas tenue ; car, dès le 8 avril suivant, avant qu’un an se fût écoulé, le conseil revenait sur la nécessité de placer des guetteurs à nos trois vigies.
En résumé, la garde des stations et, par suite, la sécurité de la ville n’était rien moins qu’ assurées. Il en était de même quant à tous les autres services dont la dépense était à la charge du comte. Ce n’était certes pas la faute de nos magistrats, qui ne cessaient d’employer leurs efforts pour échapper à cette position aussi intolérable que précaire, mais qui parvenaient bien rarement et bien difficilement à obtenir de l’argent du fisc. Nous avons pourtant un exemple d’un succès de cette nature, remporté par eux, dans un acte passé le lundi 20 février 1401 , par-devant le notaire Pierre Calvin, entre Réforciat d’Agout, seigneur de Vergons, viguier de Marseille, d’une part et Guillaume de Vivaud, Honoré de Monteils et Antoine Crote, syndics de la commune d’autre part. Par cet acte où, tout en récapitulant avec soin les sommes dues à la ville, les syndics se posent et s’énoncent en véritables suppliants, le viguier leur délègue les censes, le droit de la table de la mer et les autres revenus de la cour jusqu’à concurrence des 557 florins d’or qu’il reconnait leur être dus, entre autres causes, pour les gardiens de la bienheureuse Marie-de-la Garde, de Marseille-Veire et de Riou.
Les vigies dans l’origine, avaient été établies pour fonctionner pendant toute l’année . Lorsque la pénurie des finances municipales , aussi bien que celles du trésor comtal, vint s’imposer l’obligation de faire des économies, on prit le parti de les abandonner pendant l’hiver, c’est à dire pendant la saison où le mauvais temps devait empêcher ou tout au moins rendre plus difficiles les croisières de l’ennemi. Cela ressort évidemment de la délibération suivante, prise le 26 septembre 1472 :
« Jacques de Remezan, syndic, expose que quelques personnes sont d’avis qu’il serait bon , pour éviter les dépenses , attendu d’ailleurs que l’hiver est déjà commencé, de faire retirer à la fin du mois , les gardiens qui sont aux îles. Sur quoi, il demande que le conseil veuille bien délibérer. »
« Il a plu au conseil que les gardiens des îles y restent jusqu’à la fête de tous les Saints.
De même qu’un citoyen sage et prudent, un syndic, avait voulu par raison d’économie, hater un peu trop l ‘époque où les guetteurs pouvaient prendre leur quartier d’hiver ; de même il advenait parfois que, pour la même raison, ces quartiers d’hiver étaient prolongés plus qu’il ne l’aurait fallu, et que le beau temps était arrivé avant qu’on eut songé à regarnir les postes. D’autres fois enfin, toujours par économie, le salaire qu’on offrait aux gardiens était si réduit, qu’on ne trouvait personne pour ce métier.
C’est à ce double motif que doit être attribuée la réclamation introduite dans la séance du conseil du 20 avril 1480, et que nous relatons d’autant plus volontiers qu’elle fut l’occasion de diverses dispositions qui sont essentiellement de notre sujet.
« Exposent au conseil, Michel Sime et Pierre Forse, prudhommes de la mer, qu’il était d’usage de placer des gardiens salariés aux lieux de Riou et de Marseille-Veire, et parce que, au temps actuel, on n’exerce pas une surveillance suffisante, il s’ensuit que les pêcheurs de cette ville souffrent de nombreux dommages. S’il plaisait donc au conseil d’augmenter les salaires des surveillants, on en trouverait de capables. En conséquence, ils demandent qu’il en soit délibéré et qu’il soit avisé et pourvu. »
« Il a plu au conseil de délibérer que des gardiens aptes , capables et suffisants soient placés aux dites vigies de Riou et de Marseille-Veire, et que leurs appointements soient augmentés de 6 gros par mois. Et, attendu que Riou a 3 gardiens, il y en aura toujours 2 au poste, et le troisième pourra aller aux vivres. Quant aux deux gardiens de Marseille-Veire, ils y demeureront constamment, excepté le samedi , jour où l’un d’eux pourra venir en ville pour faire les provisions de toute la semaine. Dans les cas où ils manqueraient aux prescriptions qui précèdent, ils seraient punis d’une retenue d’un mois de solde. »
Le viguier qui présidait ce conseil se nommait Pons de Rasaud.
Le nombre des gardiens ou surveillants était donc de 3 à Riou et de 2 à Marseille-Veire. Il y en avait 2 pareillement à ND de la Garde. Leur nombre parait n’avoir jamais changé à ce dernier poste ; mais il n’en a pas été de même aux deux autres , où il fut augmenté dans des circonstances que nous rapporterons. La solde différait selon la station. Ceux de Riou, les plus éloignés, les plus exposés, étaient les mieux rétribués ; venaient ensuite ceux de Marseille-Veire et enfin ceux de la Garde. La proportion qui existait entre leurs salaires, au commencement du XVe siècle , se déduit du mandat suivant où ils se trouvent réunis :
« Nous, les syndics et les six conseillers du syndicat de Marseille, mandons à vous, Rabastenc de Roquefort, trésorier général de la dite-ville, que des deniers de votre trésor, vous donniez et payiez à Dominiqe Stornel, Monnet Gilhan et Louis André , gardes de l’île de Riou ; item, à Pons de Servières et Pierre Alfant, gardes de la montagne de Marseille-Veire ; item, à Antoine Capel et Antoine Blancard, gardes de la Tour de la Garde, pour leurs gages d’un mois qui doit commencer demain 24 du présent mois de février et finir le 24 mars prochain, savoir : aux gardes de Riou , 15 florins d’or ; item, aux gardes de Marseille-Veire, 8 florins d’or et quatre gros ; item, aux gardes de la Garde, 8 florins d’or ; ce qui fait un total de 31 florins et 4 gros du roi. Donné à Marseille sous nos propres sceaux, le 23 février 1408. »
Le florin se subdivisant en 12 gros, c’était, à Marseille-Veire deux gros de plus par homme qu’à ND de la Garde , et à Riou 10 gros de plus qu’à Marseille-Veire.
De 1384, date la plus ancienne à laquelle remontent nos renseignements à ce sujet, jusqu’en 1464, ou soit pendant quatre-vingt ans, les guetteurs de Riou furent salariés à raison de 5 florins par mois. En 1480 , nous voyons que leurs gages avaient été diminués et réduits à 4 florins, ce qui était cause qu’on n’en trouvait plus. La délibération du 20 avril de cette année en fait foi et élève la solde à 4 florins. Cette augmentation permit de rétablir le service, qui se continua ainsi avec plus de régularité que par le passé, jusques et y compris le mois de mai 1527. Ce fut pendant cette période qu’eut lieu le siège de Marseille par le connétable de Bourbon. Le siège commença le 19 août 1524 et dura 40 jours. Dès la fin de juillet, les gardiens avaient été retirés de Marseille-Veire et de ND de la Garde. On comprend qu’il n’en pouvait être autrement en présence de l’armée ennemie qui avait envahi la Provence ; mais ce que l’on s’explique moins aisément, c’est que la Vigie de l’île de Riou n’ait pas cessé de fonctionner ; c’est que le service y ait été fait pendant ces deux mois de siège, août et septembre 1524, aussi régulièrement que jamais, aussi paisiblement en apparence, et sans augmentation de salaire pour les préposés. En même temps que les maraudeurs du connétable désolaient notre territoire, la flotte espagnole était à Toulon et couvrait nos mers de ses bâtiments légers ; et cependant, après la levée du siège, on n’eut qu’à renvoyer à leurs postes les gardiens de Marseille-Veire et de ND de la Garde, pour que tout le système reprit sa marche accoutumée, ce qui eut lieu le 1er octobre. Les 3 citoyens qui maintinrent si bien leurs positions pendant cette crise se nommaient Helion Gastel, Petit Jean Baissanet et Antoine Baume.
Nous venons de dire que la solde des guetteurs de Riou fut de 4 florins et demi jusqu’à la fin de Mai 1527. Un déplorable évenement, survenu à cette époque , la fit de nouveau modifier . ce qui n’était pas arrivé au milieu des périls d’une guerre acharnée, arriva tout-à-coup lorsqu’il n’y avait plus à redouter que les dangers ordinaires, auxquels on était pour ainsi dire habitué. Les 3 gardiens de Riou, et les 2 gardiens de Marseille-Veire furent assassinés. Comment ce malheur fut-il accompli? Personne aujourd’hui ne peut le savoir , car ceux-là même qui nous en ont transmis le souvenir ne songeaient guère à le raconter. C’est par des fragments de phrases insérées dans des pièces comptables , dans l’unique intention de motiver les dépenses, que le fait est venu jusqu’à nous.
Nous ne saurions donc mieux faire que de traduire ici les mandats eux-mêmes ou les bullettes , comme on les nommaient en provençal. Mais, auparavant, quelques mots d’explication sont nécessaires sur la forme de ces bullettes ou mandats.
L’année administrative commençait à Marseille le 1er novembre et finissait le 31 octobre suivant. Pour payer les appointements du premier mois ou du mois de novembre , on expédiait un mandat au nom de chacune des parties prenantes. C’était une bullette particulière. Quant aux autres mois , on simplifiait la besogne en faisant un seul mandat pour tous les services, mais en ayant soin d’y indiquer toutes les parties prenantes, ainsi que le nombre des mandats particuliers résumés dans ce mandat général. Cela s’appelait alors une bullette pour tout l’ordinaire du mois.
En faisant l’application de ces usages aux pièces comptables qui vont suivre, on reconnaitra que la première de ces pièces est une bullette pour tout l’ordinaire, et que les 3 autres sont des bullettes particulières, tout comme le mandat que nous avons déjà reproduit.
« Le 30 juin 1527, nous Jean de Cepede, Cosme Boticari et Antoine Mouton, consuls, mandons à vous Jacques de Bricart, trésorier-général de cette ville de Marseille, que, de l’argent de votre trésor, vous payiez à maitre Jean Leclerc, notaire de la dite ville, aux 3 valets des consuls, et au trompette, aux gardes pour la nuit des tours et des murailles, aux gardiens de ND de la Garde et au peseur de la farine au poids de Lauret (Ce sont 5 bullettes seulement , à cause que les fustes ont débarqué et tué les gardiens de Riou et de Marseille-Veire.) leurs gages d’un mois de service commencé le premier et fini le dernier du courant, an atribuant à chacun sa quote-part, ainsi qu’il est dit dans les cinq bullettes originales, lesquelles se payent ordinairement tous les mois et font ensemble la somme de quarante florins et 10 gros. »
« L’an et le jour susdits, nous, etc, mandons, etc., que vous payiez à sieur Louis Négrel et à son fils et à Pierre Vailhe, gardiens chargés de la garde de Marseille-Veire et de renfort, à cause des fustes des Turcs qui ont tué les gardiens de Riou, leurs gages tant ordinaires qu’ extraordinaires pour 15 jours de service, commencés le 15 et finis le dernier du présent mois, à raison de 5 florins par mois pour chacun, c’est à savoir , pour les trois, 7 florins et 6 gros. »
« Le 31 août nous, etc ., mandons, etc ., que vous payiez, etc.,à un lahut armé qui est allé , par notre ordre, pour découvrir si nos gardiens étaient à Riou, lequel lahut, ainsi que les gens du quartier de St Jean qui le montaient ont été pris par les fustes, six gros que nous avions promis par homme, ce qui fait monter le tout tant pour la perte du lahut que pour les gens à 7 florins. »
« Le 30 septembre 1527, nous, etc., mandons, etc., que vous payiez, etc., aux trois gardiens chargés de la garde de Riou, leurs gages ordinaires d’un mois de service, commencé le premier et fini le dernier du courant, à raison de 2 écus sols par mois pour chaque hommes, ainsi convenu depuis que les fustes des Turcs ont tué les autres gardes de Riou , ou soit en tout 20 florins. »
Ces quelques pièces, malgré leur laconisme, nous apprennent que la catastrophe eut lieu à la fin du mois de mai ou au commencement du mois suivant, puisque c’est à partir du premier juin que les 2 postes furent abandonnés. Le lahut dut être expédié vers la même époque et au premier soupçon que l’on eut de la disparition des guetteurs. Ce fut un malheur de plus, puisqu’il fut pris et que les marins furent indubitablement massacrés ou réduits en esclavage. Elles nous apprennent que la Vigie de Riou demeura 3 mois sans gardiens, et qu’on n’en put trouver, au bout de ce temps, qu’au moyen d’une forte augmentation de salaire, qui , de 4 florins 6 gros, fut élevé à 6 florins 8 gros. Elles nous apprennent aussi que l’on se hâta de réorganiser la station de Marseille-Veire, laquelle ne resta inoccupée que 15 jours ; mais ce ne fut pas sans sacrifices, puisqu’on y mit un homme de plus et qu’on augmenta la solde de 10 gros par mois. Toutefois , au 1er septembre, dès que l’on eut rétabli le poste de Riou, celui de Marseille-Veire fut réduit, comme précédemment à deux gardiens auxquels la somme de 5 florins resta acquise. Enfin, la dernière bullette nous apprend en outre que 6 écus sol valaient 20 florins , ce qui fait ressortir l’écu sol à 3 florins 4 gros.
Jusqu’à l’année 1543 les appointements des 3 gardiens de Riou furent maintenus à 6 florins 8 gros. En 1564, ils furent portés à 8 florins ; ils atteignirent , en 1570, le chiffre de 10 florins, qui demeura stationnaire pendant environ 12 ans. Enfin , en 1583, les gardiens reçurent 12 florins. C’est peu après que parait s’être perdu l’usage de compter en florins. Ainsi, dès 1587, la paie fut stipulée comme étant de 3 écus, du ciel , mais il ne fut plus question de cette dernière monnaie.
Les agitations du temps qui suivirent exercèrent leur influence sur le modeste établissement de Riou Il n’y eu rien de stable dans le nombre, ni dans le salaire des guetteurs. Ainsi, au mois de Mai 1591, on mit un homme de plus, ce qui les porta à 4. L’année d’après on éleva les gages à 4, puis à 5, puis à 6 écus ; en 1593, 1594 et 1595, ils furent à 4 écus d’or au coin de France. Dans la seule année de 1596, il y eut d’abord quatre, ensuite deux, puis encore quatre gardiens qui eurent tantôt 4 écus 48 sous, tantôt 3 écus 36 sous, tantôt 3 écus 6 sous, tantôt enfin la somme excessive de 7 écus 12 sous, La comptabilité en écus ne fut pas de longue durée, car, en 1602 ils disparurent à leur tour pour faire place aux livres.
La vigie de Riou, qui devait cesser de fonctionner avec le XVII ème siècle, le commença donc avec 4 gardiens, à raison de 10 livres 16 sous par mois. Nous avons la preuve de la permanence de cet état de choses jusqu’en 1636. Après cette date , une longue et regrettable lacune nous prive de tout renseignement. C’est seulement en 1689 que nous retrouvons la station encore en activité , mais il n’y a plus qu’un seul homme payé 15 livres . Il y a en outre des intermittences dans le service, délaissé ou repris selon les besoins du moment. Enfin, en 1695, on voit reparaître deux gardiens, le père et le fils, Tarrus Nicolas et Tarrus Louis , qui salariés à 45 livres pour deux, occupent la vigie pendant les mois de juillet, d’août et de septembre. Nous les avons nommés, parce qu’ils furent les derniers guetteurs de Riou. Le poste fut abandonné sans retour.
Ce sont les anciennes pièces comptables des archives de l’Hotel de Ville qui nous ont fourni les indications les plus précises sur le personnel de cette station. C’est encore à la même source que nous puiserons pour donner des détails sur le matériel mis à la disposition des guetteurs. Cependant , comme malgré les interruptions fréquentes que présente la suite de ces documents, ce qui en reste dépasserait de beaucoup les bornes de ce simple récit, nous nous contenterons d’y faire un choix qui puisse donner une idée de l’établissement qui nous occupe.
L’article de première nécessité, pour les gardiens de l’île, était un bateau. Ce bateau, bien qu’on le halat à terre quand on ne s’en servait pas, était, ainsi que ses agrès, sujet à des réparations et à des renouvellements fréquents.
Le 4 août 1477, la ville fit rembourser au trésorier qui en avait fait l ‘avance : « Pour cinq cannes de toile pour faire la voile du bateau de Riou et pour cordages achetés de Bernard Bouquier, 1 florins 2 gros. »
Le 2 juin 1479, le trésorier présenta un mémoire où on dit : « La ville doit, pour un cordage acheté pour tirer le bateau de Riou à terre, 7 gros. »
Le 25 juin 1482, on paya à Johannon Teysseyre, pour le radoub du bateau de Riou, un compte dont voici le détail : « Primo, pour 50 livres de poix, 1 florin 6 gros ; plus, pour 100 livres de vieux clous de barque, 3 gros ; plus, pour 20 livres d’étoupe, 10 gros ; plus, pour le chaudron, 1 gros ; plus, pour 100 sarments, 2 gros ; plus, pour les calfats, 1 florin 3 gros ; plus, pour une paire d’avirons, 1 florin ; total 5 florins 1 gros. »
En 1522, on acheta un bateau, et le 14 mars les consuls délivrèrent au trésorier Jaumet Vento un mandat que nous transcrivons sans le traduire : Nos avem mandat et commandat que retenga devers si, metta et dedusca en sos comptes et receptas soes assaber la soma de florins quinze, losquals a desborsats et pagats per nostre commandament per ung batel per la gardia de Riou, que ladicha cieutat a comprat de sen Barthomeu Florentin, que monta la susdicha soma, florins XV. »
Le 10 décembre 1528, on fit cet autre mandat : « A maître Johannon Besson la somme de huit écus sols, huech escus sol, et cela pour un bateau qu’il nous a vendu pour la garde de Riou, à cause que l’autre est tout rompu, et ne peut plus servir. »
Rien ne serait plus facile que de multiplier ces preuves de fournitures d’agrès, de réparations ou d’achats de bateaux effectués tant que la surveillance fut maintenue. On nous permettra, pour abréger, de passer aux autres accessoires de la station.
La cabane, complètement détruite aujourd’hui, fut réparée en 1480. L’article du compte trésoraire qui le constate est daté du 10 novembre et s’exprime ainsi : « Nous avons payé pour une douzaine de planches de bon bois, destinées à la cabane de Riou, pour 100 clous, deux tarières et deux chevrons, la somme de 1 florin 7 gros. »
C’était, avons-nous avancé, par le moyen d’une échelle que l’on pénétrait dans la tour. A l’appui de ce fait, nous lisons dans un article de compte trésoraire de 1484 : « Le 29 avril , j’ai donné à Renaud Boyer, pour un cordage et pour faire l’échelle de Riou pour monter en haut, 7 gros et demi. « Dans un mandat du 26 novembre 1530, se trouve encore compris le prix d’une échelle pour la vigie de Riou.
L’appareil spécialement destiné aux signaux se composait : 1° d’un mât ; 2° d’une voile ; 3° de poulies et de cordages. Cet appareil toujours fonctionnant et sans cesse exposé sur cette cime élevée, à toutes les intempéries des saisons, se déteriorait rapidement et exigeait un entretien continuel.
Le mât ou l’arbre, comme l’on disait alors, dut renouvelé en 1384. Ce fut Antoine Raimond, dit le Levrier, qui le fournit et le transporta à l’île de Riou. On lui paya, le 3 septembre, 8 gros pour la fourniture et 2 gros pour le port.
Le 14 Novembre 1475, Antoine Court en livra un autre du prix de 1 florin 10 gros. Celui-ci ne dura guère, car il fut remplacé par un nouvel arbre, acheté le 20 septembre 1480 du nommé Castille pour la somme de 1 florin 1 gros. Il parait que Castilhe avait vendu un mâtereau brut, puisqu’on le fit façonner par Jacques Martin à qui l’on donna 9 gros pour sa peine. Il fut ensuite transporté du rivage de Riou à la tour par quatre homme qui reçurent 2 gros chacun.
La voile, les cordages et les poulies, on le croira aisément, nécessitaient des réparations et des remplacements encore plus fréquents. Aussi demanderons-nous la permission de ne pas nous y arrêter.
Quant à la manière dont on employait cet appareil, nous l’avons trouvée dans un mémoire ou plutôt dans une instruction sans date, mais qui, par l’écriture, le style et l’orthographe, nous paraît se rapporter à la première moitié du dix-septième siècle. Cette instruction, rédigée pour les guetteurs de Notre-Dame de la Garde, est évidemment applicable à tous les postes, attendu que leur installation était identique, sauf quelques accessoires dont ND de la Garde seule était pourvue. Nous la transcrivons avec la plus scrupuleuse fidélité.
« Mémoire
de ce que les gardes de Notre-Dame de la Garde doivent faire. »
« Premièrement l'ors que Marseille veire leur faict signal sy ledict signal est de vaisseau, lesdictes gardes doibvent incontinant mettre la voille, et sy leur faict signal de gallères, doibvent aussi en mesme temps mettre la voille et, la baisse par trois ou quatre fois advant que larrester pou fere signal a la ville que c’est voille de gallères, et fault tenir tousjours ladicte voille jusques à ce quil voit paroistre le vaisseua ou gallère, et l’hors quil voict le vaisseau, doibt mettre incontinant le penon de vaisseau, sçavoir :du cousté du levant, sil vient du Levant ou de Ponant, sil vient du Ponant ; et sil paroist pluzieurs vaisseaux, il met autant de penons comme il se voit de vaisseaux et s’il est gallère, il met incontinant la bannière avec le penon de gallère, et pluzieurs penons sil voit pluzieurs gallères, sans lever la voille ni le penon que les vaisseaux ou gallères nayent-donné fonds.
Et lors que Marseille-veire leur fera signal de pluzieurs vaisseaux ou gallères , lesdites gardes doibvent fere le mesme signal à la ville qui leur sera faict de Marseille-veire quest, savoir : de jour, par fumée, et de nuit, par feu. »
Ainsi, outre l’appareil commun aux trois vigies, celle de Notre-Dame de la Garde possédait une série de bannières et de pennons.Quant à celle de Marseille-veire, nous voyons qu’elle faisait de la fumée le jour et du feu la nuit. Or pour faire de la fumée et du feu, il faut du combustible. Les guetteurs s’en procuraient facilement dans les propriétés voisines. C’est encore un mandat qui nous en apporte la preuve.
Le 31 juillet 1696, à François Puget la somme de 140 livres à quoy nous avons réglé le prix du bois que les gardes de Marseille-veire ont enlevé de son fonds et brulé pendant les deux dernières années pour faire tous les soirs et matins des feux et signaux qui avoient été ordonnés auxdits gardes pour nous advertir en cas que l’armée navale des ennemis s’approchât de nos mers. »
Au moment où cette somme fut payée, il y avait plus d’un an que la vigie de Marseille-veire, supprimée avec celle de Riou, n’existait plus, et l’on conçoit que le propriétaire ait réclamé le règlement de ce qui lui était dû. Ce propriétaire n’était autre que le fils du grand sculpteur Pierre Puget. Il avait recueilli dans la succession de son père un jas ou bergerie avec un ténement de bois au pied de la montagne. Le jas, situé dans une petite gorge qui conduit à la grotte de Roland, existe encore et s’appelle toujours Jas Puget.
Les gardiens de Riou, de même que ceux de Marseille-veire, faisaient de la fumée le jour et des feux la nuit. L’expression Faronus, employée dans le texte des délibérations du 23 juin 1326 et du 18 août 1332, où les trois vigies sont désignées par leurs noms, ne permet aucun doute. Mais comme le combustible croissait dans l’île, qui était une propriété communale, et que la ville n’avait rien à débourser pour cet objet, il n’en est pas question dans les écritures. L’île était donc boisée et le serait encore aujourd’hui pour peu qu’on voulut favoriser le reboisement. Le figuier sauvage, la clématite, la scille s’y rencontre fréquemment , ainsi qu’une multitude d’autres plantes qui feraient la joie d’un botaniste et qui démontrent que ce sol, si aride au premier coup-d’oeil, n’a pas perdu sa fécondité.
Pendant plusieurs siècles et jusqu’à la loi du 24 août 1793 qui en a attribué la propriété à l’état, les herbages de ce groupe d’îles ont été affermés aux enchères par la ville. En 1584, ils l’étaient à Aymar de Champorcin au prix annuel de 25 écus 30 sous ; en 1612, Jean-Baptiste de Villages le prit pour 36 livres ; en 1614, c’était François de Caradet qui les obtenait à 62 livres. Après quoi le taux du fermage diminua graduellement. On le vit au dix-huitième siècle s’abaisser jusqu’à 12 livres, puis se relever à 80, puis retomber encore pour se réduire à rien. Cet avilissement de la valeur des herbages provenait de la dévastation toujours croissante, occasionnée par les troupeaux de chèvres qu’on y lachait pendant des saisons entières et qui s’y rendaient tout-à-fait sauvages. D’ailleurs depuis la suppression de la vigie et des gardiens, il n’y avait plus aucune surveillance et quiconque voulait y débarquer pouvait y faire tout ce qui lui plaisait.
L’île de Riou était un désert lorsque les anciens Marseillais y jetèrent les fondements de leur troisième station.
Jusques en 1695, elle n’eut pas d’autres habitants que les guetteurs et redevint déserte après leur suppression. En 1720, année de la peste, on dit que des pêcheurs, fuyant la contagion, s’y réfugièrent avec leurs familles pendant plusieurs mois. La tradition ajoute qu’une jeune fille y naquit pendant cette émigration et qu’elle eut par la suite une sorte de célébrité dans le quartier St Jean, à cause du lieu de sa naissance. Si le fait est exact, et il n’a rien d’invraisemblable, c’est assurément la seule fois qu’un être humain sera venu au monde sur ces rochers.
L’île, il y a une quarantaine d’années, ne jouissait pas du bon renom auprès du fisc et surtout de la douane. Ce n’était pas sans motifs, car elle servait à faciliter une active contrebande. Les navires fraudeurs, en passant au Sud de Riou qui, même en plein jour, les dérobaient à la vue de la côte, jetaient les ballots prohibés dans un bateau, lequel, après les avoir cachés dans quelqu’une des nombreuses excavations du Mauvais Pays, regagnaient la terre à vide. Puis on attendait une nuit propice, bien noire, bien froide, et les contrebandiers, tous gens des environs, allaient chercher les marchandises et tentaient le débarquement. Si la vigilance des douaniers était éveillée, si la tentative échouait, on en était quitte pour reporter les ballots dans leur cachette et pour recommencer une autre fois. Il y a eu des objets précieux qui ont ainsi passé plusieurs mois dans des trous de rochers et qu’on a peut-être essayé dix fois de verser à la côte sans y pouvoir réussir.
Si, pendant la belle saison, au mois de juillet par example, vous abordiez à Menesteirol, vous y verriez probablement à l’ancre une ou deux barques catalanes soigneusement recouvertes de leurs tentes. Le patron de chaque barque est seul à bord avec le mousse. Le reste des équipages, dispersé dans des batelets, se livre à la pêche au corail entre le cap Croisette et Cassis. Cette pêche, autrefois l’une des occupations favorites de nos concitoyens et l’un des éléments importants de leur commerce, est aujourd’hui délaissée aux étrangers. Nous n’avons plus depuis longtemps de corailleurs indigènes.
L’industrie toutefois, cette reine de nos jours, n’a pas dédaigné l’île de Riou. Elle a mis en exploitation un riche dépôt de sable qui y a été reconnu depuis quelques années. C’est un sable gros et grenu, tantôt jaune et tantôt grisâtre, que l’on emploie journellement au pavage de nos rues. Une maison a été édifiée à Menesteirol pour servir de logement et d’auberge aux quelques ouvriers occupés à l’exploitation. L’amateur des parties de mer peut aujourd’hui sans crainte se hasarder jusque là. Il est assuré d’un refuge et d’un abri en cas de mauvais temps.
L’importance et l’utilité de la station de Riou ont disparu du moment où la piraterie a été réprimée, du moments où nos rivages, protégés par une imposante marine, ont cessé d’être livrés aux déprédations des écumeurs des mers. On a de la peine à croire à l’audace que déployaient autrefois les corsaires barbaresques dans leurs expéditions. Montés sur des galères ou, plus souvent encore, entassés au nombre de deux ou trois cents sur des schebecs allongés et bas sur l’eau, livrant aux vents des immenses triangles de leurs voiles fauves, s’aidant au besoin de quinze ou vingt paires d’avirons, ils apparaissaient à l’improviste sur les côtes sans défense, détruisaient le matériel flottant, mettaient les hommes à mort ou les emmenaient en captivité, et opéraient fréquemment des débarquements dans le but de piller, de ravager et de faire des esclaves. Les maux que causaient ces bandits étaient d’autant plus grands qu’ils avaient parmi eux des rénegats jaloux de se signaler et qui, connaissant les localités, devenaient aussi dangereux pour leur compatriotes, qu’ils étaient utiles à leurs nouveaux compagnons.
Les mesures de précaution que les magistrats étaient dans le cas d’ordonner pour la sûreté des pêcheurs seulement, démontrent jusqu’à l’évidence, l’étendue des périls que présentait la moindre excursion en mer.
Le 13 juin 1319, en l’absence de noble et puissant seigneur Pierre d’Audibert, chevalier, viguier de Marseille, le sous-viguier Guillaume de Conchis rendit l’ordonnance suivante qui fut aussitôt publiée au son de trompe, dans tous les lieux accoutumés de la ville, par Jacques Lique, crieur public juré.
« Il y a mandement et commandement de notre seigneur le Roi de Jérusalem et de Sicile et de son viguier :
Que tout patron de barque de pêcheurs, quand il ira pêcher, porte une arbalète, un écu et 25 carreaux, sous peine de 25 livres d’amende.
Que les consuls des pêcheurs y veillent de telle façon que cela soit exécuté, ainsi qu’il est dit ci-dessus, sous la même peine.
Que chaque patron de barque qui ira à Planier, y porte 100 pierres et les y laisse pour la défense de la tour.
Que personne ne se permette d’enlever aucune de ces pierres.
Et qu’aucun pêcheur ne fasse du feu la nuit, le tout sous la même peine. «
Quant aux rénégats, la participation de ces misérables aux entreprises des corsaires est si avérée, que nous n’hésitons pas à attribuer à leur complicité le meurtre des gardiens de Marseille-veire et de Riou en 1527. Et d’abord les victimes durent être surprises pendant la nuit.
Quand on est monté à la Tour de Riou et qu’on a jeté un coup d’oeil autour de soi, on ne peut pas admettre que trois hommes s’y soit laissé surprendre pendant le jour, trois hommes qui devaient être sur leur gardes et dont l’unique occupation et le suprême intérêt était de surveiller la mer. Si par impossible, les pirates avaient réussi à prendre terre sans être vus, ils auraient été découverts dans l’île avant d’atteindre la tour où les gardiens auraient eu le temps de se réfugier et où ils se seraient défendus. Le débarquement a donc eu lieu pendant la nuit. Bien que du rivage au sommet de l’île le chemin ne soit ni long ni qu’il est aisé de le trouver. Les corsaires le connaissaient donc. Mais c’est bien autre chose à Marseille-veire. La simple cabane qui servait de vigie est à environ deux kilomètres à l’intérieur des terres . Le sentier qui s’y dirige est le plus difficile, le plus scabreux de toute la contrée. Il ne suffit pas d’y avoir passé plusieurs fois pour être sûr de ne pas s’égarer, même en plein jour, et ce n’est pas une horde de brigands étrangers qui auraient pu y parvenir pendant la nuit. De ces faits nous tirons la conclusion que le massacre eut lieu à la suite d’une surprise nocturne, conduite, guidée, peut-être organisée par des gens du pays , par des rénégats.
Du reste, ces déprédations, ces débarquements, ces rapts d’esclaves et tous les autres actes de brigandage que peuvent commettre des barbares sans frein et sans pitié, se sont continués jusqu’à une époque où l’on s’étonnera peut-être de les voir s’accomplir. En 1661, en plein règne de Louis XIV, des pirates algériens vinrent capturer un navire marchand jusques sous les murs de la Major, mirent pied à terre à Cale-Longue, dans l’île de Jarre, enlevèrent des bateaux pêcheurs, firent de nombreux prisonniers, sans que personne dans notre ville désarmée eût les moyens de les en empêcher, et ne se retirèrent enfin qu’à l’apparition inopinée d’une escadre de 6 galères napolitaines.
Afin que l’on ne nous taxe pas d’exagération, nous céderons la parole aux échevins du temps, qui ont consigné tous ces faits dans un long procès-verbal que nous abrégerons le plus possible, tout en respectant le style.
« Savoir faisons, nous, Louis Borelly, sieur de Brest, et Jean-Baptiste Dupont, ecuyer, echevins, etc..., que nous étant rendus dans la maison de la ville le 28 de ce mois de juillet 1661, sur l’heure de six à sept du matin, à l’accoutumée, pour vaquer aux affaires publiques, nous aurions été étrangement surpris de la nouvelle qu’on nous donna de ce que trois galère d’Alger avoient paru dans ces mers entre le château d’If, la chaine et les murailles qui ferment l’endroit de la ville auquel l’église majeure se trouve construite, lesquelles avoient volé une barque venant de Catalogne ; sur lequel bruit et l’alarme que tous les pêcheurs , leurs femmes et enfants eurent de ce que leurs maris ou leurs pères ou leurs enfants étoient sortis ce même jour, au nombre de plus de cent cinquante tartanes ou bateaux avec leur train pour la pêche, accompagnés de cris et de pleurs, causèrent un si grand vacarme dans la ville que les principaux et tout le reste d’icelle furent sensiblement touchés, etc...
...Etant nous rendus, le lendemain 29 dudit mois, dans ladite maison de ville, pour vaquer aux affaires, il se seroit assemblé grand monde aux environs d’icelles et nous aurions même eu peine à contenir les plaintes des habitants du quartier de St Jean, qu’ils faisoient contre le sieur de Pilles et en sa présence et en son absence, sur ce que ses garnisons des îles du château d’If et de Ratonneau et de St Jean n’avoient fait signal quelconque ni tiré aucune canonade contre lesdits corsaires, disant que s’ils eussent tiré, les pauvres pêcheurs se fussent retirés, etc...
... Ayant la suite du temps découvert que lesdits corsaires avoient fait plus de soixante esclaves, ne l’ayant pu connaitre qu’en tant que ces pauvres gens ont disparu, ne s’étant lesdites galères retirées que par la découverte qu’elles firent de six galères de Naples chargées d’infanterie, lesquelles sont arrivées ce matin aux îles du château d’If ; ayant appris de quelques particuliers qui se sont garantis de la prise et principalement de l’un des gardes de Marseille-veire, qu’il y avoit grand nombre de rénégats provençaux qui lui crièrent : Bélitre, C..... nous savons que vous n’avez pas de quoi tirer un coup de pistolet ; nous voulons en charrier des milliasses. Et ils auraient appris la même chose de quelques autres qui dirent avoir vu plusieurs officiers ou particuliers desdites galères qui mirent pied à terre à un endroit appelé Jarre et à Cale-Longue où ils avoient ravagé quelques bateaux. Etant certains que lesdites galères n’auroient disparu sans la venue de celles de Naples, etc.. etc.. »
Grâce à Dieu, ces temps désastreux sont bien loin de nous. Les gouvernements qui se sont succédé ont compris qu’il fallait, avant tout, faire respecter le sol du pays et protéger les populations inoffensives. Des batteries ont été construites sur tous les points exposés, et l’ennemi, barbare ou civilisé, pirate ou simple croiseur, a été forcé de se tenir à distance. Enfin un cordon de postes d’observation a été établi pour relier entre elles toutes les positions du littoral. La création d’un si vaste système a naturellement absorbé celui des anciens Marseillais. Toutefois, leurs stations avaient été si bien choisies que deux sur trois ont dû faire partie de la ligne moderne. Nous avons vu jusqu’en 1814, les sémaphores de ND de la Garde et de Marseille-veire recevoir et transmettre les signaux que l’état de guerre nécessitait. C’est à la paix seulement que celui de Marseille-veire a cessé de fonctionner. Quant à Notre Dame de la Garde, nous le répétons, elle fonctionne toujours, en temps de paix comme en temps de guerre. Elle fonctionnera aussi longtemps que Marseille existera.
L’établissement de l’île de Riou est maintenant en ruines ; sa cabane est rasée au niveau du sol ; c’est à peine s’il en reste des vestiges. Sa vieille tour, déjà réduite des trois quarts, achève de s’égrener pierre à pierre ; bientôt on se demandera si les cartes n’ont pas commis une erreur en marquant une tour en ce lieu ; enfin il est oublié, si bien oublié qu’il n’y a pas un pêcheur à Marseille qui ait conservé la tradition d’une vigie à Riou. Et cependant, poste avançé, sentinelle perdue au milieu des flots, elle a rendu bien des services à nos ancêtres ; elle a bien souvent le signal d’alarme qui a sauvé nos marins de la mort et de la captivité, nos navires et nos marchands, du pillage et de la ruine. Voilà pourquoi nous avons voulu qu’une voix au moins protestât contre cet injuste oubli et pourquoi nous avons raconté ce que nous avons pu recueillir à ce sujet. Aujourd’hui le 1er janvier 1859, il y a cent soixante-trois ans et trois mois que la vigie de Riou a cessé d’exister ; ce n’est pas trop tôt pour en faire l’oraison funèbre.
... Actuellement, l'ile est absolument sèche. Il n'en a vraisemblablement pas toujours été ainsi. Dans le fond de ce ravin coulait certainement un ruisseau; C'est lui qui a déposé ce sable dont on ne peut sans cela expliquer la présence. Ce n'est pas en effet un sable éolien ni marin, et d'ailleurs l'existence de quelques coquilles de mollusques d'eau douce montre bien qu'il s'agit d'un dépot alluvial. On pourrait même supposer que c'est à cause de cela que cette ile, nous le verrons plus loin, a été si fréquemment visitée par les populations les plus différentes pendant un grand nombre de siècles. c'était peut-être un point de ravitaillement, surtout en eau pure, que pouvaient connaitre les navigateurs antiques.
C'est sur le flanc Est de ce ravin, au point indiqué par un carré sur les figures 11 et 12 et sur un espace correspondant environ à 100 mètres carrés,que nous avons receuilli nos silex dans les parties non exploitées lors de l'extraction du sable.
En ce point ont passé nombre des populations d'époques très variées; elles ont laissé dans les couches de terrain qui se superposent très régulièrement, soit des silex pour les plus anciennes, soit des fragments de céramiques fort nombreux pour les suivantes . Or, on sait que l'analyse de ces débris de travail humain est extrèmement instructive et permet de dater exactement les couches qui les renferment. Nous avons disposé sur un carton que nous présentons à l'Académie des spécimens typiques de ces divers produits industriels rangés suivant leur position stratigraphique qui est la suivante:
A.- A la surface du sol dans un humus sableux, très peu épais , au milieu d'une herbe rare, on trouve en grande quantité (et même en d'autres points de l'ile) des fragments de céramique romaine. Ce sont généralement des débris d'amphores ou de grands vases d'une terre rose, blanchâtre ou jaunâtre, avec quelques paillettes de mica, et en général bien cuite. Les spécimens de poterie fine à couverte rouge (dite samienne) sont rares; nous en avons pourtant recueilli deux échantillons, sans ornements, rappelant les terres rouges de fabrication gauloise.
B.- Au dessous dans un sable éolien , nous avons recueilli (mais seulement dans notre ravin ) tout une série de petits fragments de poteries grecques caractéristiques, mais d' ages très différents. Il ya d'abord des specimens de terre blanche, fine, soigneusement lustrée, très bien cuite, parfois noire à l'intérieur, quelques fois avec décor géométrique brunâtre, d'autres sont rougeâtres très cuits avec petits ornements coniques; il en est d'une terre grisâtre à couverte gris-brun-rouge, d'aspect presque métallique. Ces diverses terres provenant de petits vases, très bien tournés, rappellent absolument les fragments céramiques mycèniens ; D'autres débris sont d'une terre jaune, très fine, parfois à couverte noire brillante. Quelques uns montrent des fragments de décoration par réserve du fond au moment de l'application de la couverte noire. Ce sont donc des céramiques de la belle époque grecque; vers le V° siècle av. J.C.
Enfin des débris de terres jaunes ou rougeâtres plus tendres à couverte noire fragile semblent dater de la décadence grecque. Il y a donc dans cette couche des specimens de céramique grecque depuis le 3°siècle environ avant l'ère jusqu'aux périodes grecques préhistoriques
C. -Sous cette couche grecque nous n'avons plus retrouvé, toujours dans le sable, que des débris d'une poterie mal cuite, ne semblant pas faite au tour ou du moins étant mal tournée; la pâte jaunâtre ou rosée est parsemée de petits fragments de quartz et de nombreuses paillettes de mica blanc ; il ya des fragments de grands et de moyens vases. Ces terres très particulières sont assez fréquentes aux environ de Marseille, surtout dans les oppida où l'un de nous ( Arnaud d'Agnel ) les a fréquemment rencontrées avec son éminent collaborateur Clerc et les considère avec lui comme étant ligures , c'est à dire l'oeuvre de populations locales préhistoriques.
D . - En ce point, le sable fin où se trouvent toutes les poteries précédentes cesse. On rencontre une couche de fragments calcaires brisés. C'est dans ce milieu et même parfois s'enfonçant dans la couche sous-ajacente, que nous avons recueilli nos silex égyyptiens, et jamais dans les couches supérieures; leur position stratigraphique est donc ainsi nettement définie et élimine toute cause d'erreur : ils ne peuvent dater d'une autre époque que celle de la couche qui les contient .Ils y étaient disséminés sans ordre. Cette constatation était extrèmement importante. Nous l'avons faite avec tout le soin possible, fouillant nous-mêmes, sans avoir jamais eu d'ouvriers avec nous.
E. - Au dessous apparait une couche de sable noir brunâtre à éléments assez grossiers. Au milieu de ce sable noir, avec des débris de charbon, correspondant à des foyers comme ceux que l'on rencontre assez souvent sur nos côtes, il existe de nombreuses coquilles marines mais appartenant exclusivement à deux espèces, comestibles encore de nos jours, des patelles et les turbos; fait à noter aussi : toutes ces coquilles sont d'assez forte taille. Certaines patelles sont même très grandes.
Ces coquilles ont été apportées dans ces foyers, avec les fragments d'os brisés ou fendus et les dents d'ovins ou de caprins que nous y avons recueillies, par les préhistoriques qui ont aussi abandonné dans ces kjoelkkenmoeddings ( débris de cuisine) des spécimens de leur industrie en pierre. Ce sont de petites lames de silex quelquefois retouchées à une extremité sous forme de grattoir ou de perçoir . Nous avons recueilli aussi une sorte de petite scie en silex blanc bien retouchée sur les deux faces et deux petites haches polies en éclogite (roche verte à grenats de l'Esterel). Tous ces outils en pierre sont absolument différents des silexs égyptiens. Ils ont été tous importés puisqu'il n'y a dans l'ile que des calcaires.
Enfin de nombreux fragments de poteries se trouvent aussi dans cette couche.
C'est une terre brune ou rouge extrèmement grossière et mal cuite, non faite au tour, parfois noire en dedans et contenant un grand nombre de petits grains de quartz et de menus fragments calcaires, les bords en sont ondulés et la panse parfois ornée de sortes de boutons saillants disposés en séries horizontales. C'est absolument l'aspect des poteries néolitiques.
La disposition et le contenu de cette couche sont exactement ceux que l'on retrouve dans maints dépots analogues des côtes de Provence et, avec quelques variantes d'industrie, sur les côtes de l'Océan, de la Manche et jusqu'au Danemark.
Il est à noter que dans certains points nous avons recueilli des silex egyptiens sous l'amas de coquilles et de silex autochtones il a pu y avoir remaniement du sol antérieur par les nouveaux arrivants et peut-être une certaine contemporanéité entre les deux populations. On peut, en tout cas en déduire cette conclusion vraisemblable; c'est qu'il ne s'est pas écoulé un temps très considérable entre l'habitat des peuples des kjoekkenmoeddings et le passage des Egyptiens.
F .- Enfin sous cette couche sableuse noire, colorée par les foyers des kjoekkenmoeddings,le sable du fond du vallon continue sur une épaisseur qui, là où nous avons fouillé, sur le flan du ravin, n'est que de 0.50 à l métre et qui certainement devait être plus considérable dans le fond du vallon.
La superposition que nous avons observée à l'ile de Riou en ce coin de ravin que nous avons fouillé pourrait donc être résumée de la façon suivante.
C'est sur le flanc Est de ce ravin, au point indiqué par un carré sur les figures 11 et 12 et sur un espace correspondant environ à 100 mètres carrés,que nous avons receuilli nos silex dans les parties non exploitées lors de l'extraction du sable.
En ce point ont passé nombre des populations d'époques très variées; elles ont laissé dans les couches de terrain qui se superposent très régulièrement, soit des silex pour les plus anciennes, soit des fragments de céramiques fort nombreux pour les suivantes . Or, on sait que l'analyse de ces débris de travail humain est extrèmement instructive et permet de dater exactement les couches qui les renferment. Nous avons disposé sur un carton que nous présentons à l'Académie des spécimens typiques de ces divers produits industriels rangés suivant leur position stratigraphique qui est la suivante:
A.- A la surface du sol dans un humus sableux, très peu épais , au milieu d'une herbe rare, on trouve en grande quantité (et même en d'autres points de l'ile) des fragments de céramique romaine. Ce sont généralement des débris d'amphores ou de grands vases d'une terre rose, blanchâtre ou jaunâtre, avec quelques paillettes de mica, et en général bien cuite. Les spécimens de poterie fine à couverte rouge (dite samienne) sont rares; nous en avons pourtant recueilli deux échantillons, sans ornements, rappelant les terres rouges de fabrication gauloise.
B.- Au dessous dans un sable éolien , nous avons recueilli (mais seulement dans notre ravin ) tout une série de petits fragments de poteries grecques caractéristiques, mais d' ages très différents. Il ya d'abord des specimens de terre blanche, fine, soigneusement lustrée, très bien cuite, parfois noire à l'intérieur, quelques fois avec décor géométrique brunâtre, d'autres sont rougeâtres très cuits avec petits ornements coniques; il en est d'une terre grisâtre à couverte gris-brun-rouge, d'aspect presque métallique. Ces diverses terres provenant de petits vases, très bien tournés, rappellent absolument les fragments céramiques mycèniens ; D'autres débris sont d'une terre jaune, très fine, parfois à couverte noire brillante. Quelques uns montrent des fragments de décoration par réserve du fond au moment de l'application de la couverte noire. Ce sont donc des céramiques de la belle époque grecque; vers le V° siècle av. J.C.
Enfin des débris de terres jaunes ou rougeâtres plus tendres à couverte noire fragile semblent dater de la décadence grecque. Il y a donc dans cette couche des specimens de céramique grecque depuis le 3°siècle environ avant l'ère jusqu'aux périodes grecques préhistoriques
C. -Sous cette couche grecque nous n'avons plus retrouvé, toujours dans le sable, que des débris d'une poterie mal cuite, ne semblant pas faite au tour ou du moins étant mal tournée; la pâte jaunâtre ou rosée est parsemée de petits fragments de quartz et de nombreuses paillettes de mica blanc ; il ya des fragments de grands et de moyens vases. Ces terres très particulières sont assez fréquentes aux environ de Marseille, surtout dans les oppida où l'un de nous ( Arnaud d'Agnel ) les a fréquemment rencontrées avec son éminent collaborateur Clerc et les considère avec lui comme étant ligures , c'est à dire l'oeuvre de populations locales préhistoriques.
D . - En ce point, le sable fin où se trouvent toutes les poteries précédentes cesse. On rencontre une couche de fragments calcaires brisés. C'est dans ce milieu et même parfois s'enfonçant dans la couche sous-ajacente, que nous avons recueilli nos silex égyyptiens, et jamais dans les couches supérieures; leur position stratigraphique est donc ainsi nettement définie et élimine toute cause d'erreur : ils ne peuvent dater d'une autre époque que celle de la couche qui les contient .Ils y étaient disséminés sans ordre. Cette constatation était extrèmement importante. Nous l'avons faite avec tout le soin possible, fouillant nous-mêmes, sans avoir jamais eu d'ouvriers avec nous.
E. - Au dessous apparait une couche de sable noir brunâtre à éléments assez grossiers. Au milieu de ce sable noir, avec des débris de charbon, correspondant à des foyers comme ceux que l'on rencontre assez souvent sur nos côtes, il existe de nombreuses coquilles marines mais appartenant exclusivement à deux espèces, comestibles encore de nos jours, des patelles et les turbos; fait à noter aussi : toutes ces coquilles sont d'assez forte taille. Certaines patelles sont même très grandes.
Ces coquilles ont été apportées dans ces foyers, avec les fragments d'os brisés ou fendus et les dents d'ovins ou de caprins que nous y avons recueillies, par les préhistoriques qui ont aussi abandonné dans ces kjoelkkenmoeddings ( débris de cuisine) des spécimens de leur industrie en pierre. Ce sont de petites lames de silex quelquefois retouchées à une extremité sous forme de grattoir ou de perçoir . Nous avons recueilli aussi une sorte de petite scie en silex blanc bien retouchée sur les deux faces et deux petites haches polies en éclogite (roche verte à grenats de l'Esterel). Tous ces outils en pierre sont absolument différents des silexs égyptiens. Ils ont été tous importés puisqu'il n'y a dans l'ile que des calcaires.
Enfin de nombreux fragments de poteries se trouvent aussi dans cette couche.
C'est une terre brune ou rouge extrèmement grossière et mal cuite, non faite au tour, parfois noire en dedans et contenant un grand nombre de petits grains de quartz et de menus fragments calcaires, les bords en sont ondulés et la panse parfois ornée de sortes de boutons saillants disposés en séries horizontales. C'est absolument l'aspect des poteries néolitiques.
La disposition et le contenu de cette couche sont exactement ceux que l'on retrouve dans maints dépots analogues des côtes de Provence et, avec quelques variantes d'industrie, sur les côtes de l'Océan, de la Manche et jusqu'au Danemark.
Il est à noter que dans certains points nous avons recueilli des silex egyptiens sous l'amas de coquilles et de silex autochtones il a pu y avoir remaniement du sol antérieur par les nouveaux arrivants et peut-être une certaine contemporanéité entre les deux populations. On peut, en tout cas en déduire cette conclusion vraisemblable; c'est qu'il ne s'est pas écoulé un temps très considérable entre l'habitat des peuples des kjoekkenmoeddings et le passage des Egyptiens.
F .- Enfin sous cette couche sableuse noire, colorée par les foyers des kjoekkenmoeddings,le sable du fond du vallon continue sur une épaisseur qui, là où nous avons fouillé, sur le flan du ravin, n'est que de 0.50 à l métre et qui certainement devait être plus considérable dans le fond du vallon.
La superposition que nous avons observée à l'ile de Riou en ce coin de ravin que nous avons fouillé pourrait donc être résumée de la façon suivante.
Epaisseur Moyenne
Nature du Terrain
Epoques
0m 10
Sol pierreux et sableux avec herbe rare , nombreux fragments de céramique provenant d'amphores et de vases; céramique à couverture rouge
A
Romaine
0m 12
Sable fin. Débris de céramiques grecques de diverses époques depuis le III ème siècle avant J.C. jusqu'à l'époque mycénienne
B
Grecque
0m 07
Sable fin. Débris de vases en terre pailletés de mica
C
Ligure
0m 10
Fragments calcaires brisés : silex egyptiens
D
Néolithique Egyptien
0m 20
Kjoekkenmoedding avec coquilles comestibles, os, silex taillés et fragments de poterie. Industrie autochtone
E
Néolithique local
0m 50
Sable du fond du ravin
F
Quaternaire (?)
Nature du Terrain
Epoques
0m 10
Sol pierreux et sableux avec herbe rare , nombreux fragments de céramique provenant d'amphores et de vases; céramique à couverture rouge
A
Romaine
0m 12
Sable fin. Débris de céramiques grecques de diverses époques depuis le III ème siècle avant J.C. jusqu'à l'époque mycénienne
B
Grecque
0m 07
Sable fin. Débris de vases en terre pailletés de mica
C
Ligure
0m 10
Fragments calcaires brisés : silex egyptiens
D
Néolithique Egyptien
0m 20
Kjoekkenmoedding avec coquilles comestibles, os, silex taillés et fragments de poterie. Industrie autochtone
E
Néolithique local
0m 50
Sable du fond du ravin
F
Quaternaire (?)
(En gris, les tessons insérés par l'abbé Arnaud d'Agnel.)
De cet ensemble d'observations on peut donc déduire les faits suivants: à une époque très reculée il existait dans le fond de ce vallon de l'ile de Riou un petit cours d'eau qui, a donné naissance au sable qui le remplissait, il y avait certainement de la végétation et probablement de la faune; l'ile avait-elle sa forme et ses dimensions actuelles? Il est bien probable que non. On sait que des mouvements de soulèvement et d'abaissement ont jusqu'à une époque relativement récente ont profondément modifié la topographie des cotes de la Méditerranée en Provence, comme aussi celle des cotes italiennes; la mer s'est tantôt retirée assez loin des côtes et tantôt elle a envahi des points de la cote situés aujourd'hui à plusieurs mètres au dessus de la mer. On peut donc admettre qu'à certains moments l'ile de Riou a dû être notablement plus étendue et que ,ainsi que nous le disions au début, son aspect actuel n'indique que le sommet de la crête montagneuse qui constitue sa charpente . Il est très possible que les premières populations qui sont arrivées à Riou, les aborigènes néolitiques anciens qui ont laissé dans leurs foyers et leurs amas de coquilles, les misérables silex et la grossière poterie que nous avons trouvés, soient venus de la côte de Provence à pied sec ou n'aient eu qu'un court chenal à traverser.Ils y ont habité comme dans les autres iles voisines, à l'ile Maïre par exemple et sur quelques points de la côte de Provence, se nourrissant des moutons ou des chèvres qui vivaient sur la montagne et surtout des coquilles qu'ils ramassaient sur les plages. Plus tard, mais vraisemblablement pas fort longtemps après, des navigateurs égyptiens sont venus à l'ile de Riou, ils y ont séjourné plus ou moins longtemps et y ont abandonné les produits de leur belle industrie sur le sable de la dune où avaient vécu les néolitiques autochtones des kjoekkenmoeddings, ensuite les éboulis ont recouvert leur silex.
Comment ces Egyptiens étaient-ils venus à Riou? Etaient-ce des navigateurs ayant relâché dans cette ile pour y faire de l'eau où s'abriter de la tempête, ou bien, naufragés emportés là par les courants et le gros temps, sont-ils venus finir leur vie à Riou? Toutes les les hypothèses sont permises. Cependant il en est une particulièrement vraisemblable et la voici : On peut se faire une idée de la topographie ancienne de l'ile et de son voisinage en examinant la carte particulière des côtes de France publiée par les ingénieurs hydrographes de la marine; en effet si on veut bien regarder la réduction que nous publions ci-dessus (fig. 12) on s'apercevra facilement,en examinant les chiffres indiquant les profondeurs relevées par les sondages, qu'au sud de l'ile de Riou on trouve des fonds de 42, 66, 82 mètres . Au nord de l'ile au contraire, entre elle et l'ile de Calseraigne, on ne trouve plus que des profondeurs de 15, 13 et 10 mètres et même 3 mètres (écueil du Milieu). Entre l'ile de Jaire et la côte : 17. 12. et même 2 mètres ( estéou de miet) Enfin entre l'ile de Jaire et la côte : 11. 9. 6 mètres(plateau des chèvres) .Au contraire, en dehors de ces points saillants, des profondeurs brusques de 20, 3O, 5O, 60 mètres et davantage - on peut donc admettre qu' à une époque indéterminée, probablement quaternaire et aussi plus récente, ces trois iles étaient réunies entre elles et au continent. Ce n'étaient donc pas des iles, mais des presqu'iles à pentes à pentes abruptes et à crêtes assez élevées;. La Côte de Provence très déchiquetée se prolongeait vraisemblablement, dans cette hypothèsee, jusqu'à Riou qui formait l'extrème pointe du continent en ce point. Mais entre Riou et Calseraigne devait exister une anse très bien abritée constituant un excellent mouillage. Comme d'autre part c'était la première terre que des navigateurs venant d'Egypte devaient rencontrer(??!), il n'est pas étonnant que les Egyptiens se soient arrêtés précisément en ce point; même observation pour les Grecs.Or c'est juste sur cette anse que s'ouvre notre ravin. D'autre part et bien avant eux,les autochtones néolitiques avaient pu venir à pied sec de la Provence.
Des érosions un peu actives et un abaissement maximum d'une quinzaine de mètres ont suffi pour transformer les rivages déchiquetés de la Provence en ce point ( comme ceux de la Bretagne actuelle) et les changer en îles presentant l'aspect moderne. A quelle époque se sont produites ces modifications? Il est bien difficile de le dire; ce serait dans notre hypothèse, après la venue des autochtones, des Egyptiens, même des Ligures dans la presqu'île de Riou.
Quoi qu'il en soit, ce que nous savons c'est sensiblement l'époque à laquelle sont venus à Riou ces voyageurs lointains.
Il est maintenant établi que le néolitique égyptien a duré jusqu'aux premières dynasties, or c'est sensiblement vers le cinquième millienaire avant l'ère que débutent les premières dynasties égyptiennes. Il s'ensuit donc c'est avant ou vers 5000 que les Egyptiens sont venus à Riou. Ce fait est gros de conséquences.
Ainsi les kjockkenmoeddings locaux, avons-nous vu, sont antérieurs ou au moins contemporains des silex egyptiens, ils sont donc du même coup datés.Mais alors on se trouve terriblement loin de la chronologie classique des 2000 ans auxquels pourrait remonter l'époque néolithique; il est vrai qu'il s'agit là d'un très vieux faciès du néolithique, les kjoekkenmoeddings remontant vraisemblablement à l'origine de cette période.
Longtemps après que les égyptiens eurent abandonné leurs silex sur les flancs du petit ravin de Riou, des populations venues de la côte et que faute de mieux on désigne sous le nom de Ligures, vécurent à Riou et y laissèrent des débris de leurs céramiques pailletées de mica, si spéciales que nous avons retrouvées. Puis à leur tour, et bien des fois à des époques différentes des populations grecques vinrent à Riou et abandonnèrent ces multiples et variés fragments de leurs céramiques caractéristiques.
Enfin les Romains séjournèrent à l'ile de Riou et semblent avoir eu de véritables installations de longue durée, tant sont abondants les fragments céramiques que nous avons trouvés dans cette ile.
Il n'y a pas lieu de s'étonner de la présence exclusive de la céramique dans ces gisements: la poterie est ce qu'il y a de plus fragile; une fois brisée, on en abandonne les fragments. C'est aussi ce qu'on doit surtout trouver en un point où vraisemblablement on venait chercher de l'eau.
Les fragments d'autres objets en os ou en corne sont à l'ordinaire bien moins fréquents. Ceux en bois ont disparu. Quant aux débris en métal, ils sont toujours plus rares dans les couches qui peuvent en renfermer...
Rapport du Génie
dans les commentaires de l'Atlas des Batteries dressé en 1818
L'orthographe est celle du document - pas de point seulement des virgules
Batteries de Morgiou
dans les commentaires de l'Atlas des Batteries dressé en 1818
L'orthographe est celle du document - pas de point seulement des virgules
Batteries de Morgiou
"Les attaques répétées qu'ont éprouvé ces batteries ont assez prouvé leur importance; si elles n'ont pas mieux rempli leur but ce n'est pas que leur site n'est pas favorable à une bonne défense, mais les travaux qui devaient seconder ce que leur position a d'avantageux étaient à peine commencés lorsque dans la nuit du 30 au 31 Mars 1813 l'ennemi débarqua dans l'anse de Sormiou au nombre de 200 conduit par des gens du pays sans doute, il parvint à traverser les roches dont est herissée cette partie de la côte sur le sommet de la Montagne de la Grande Chandelle° d'où descendant sur le cap il força bientôt le petit poste chargé de défendre le pas du Renard et tomba sur les défenseurs de la batterie où se trouvait un détachement de 40 hommes d'infanterie, outre les Cannoniers, l'officier qui le commandait, le gardien de la batterie, un cannonier garde Côte et 16 soldats d'infanterie furent faits prisonniers, eurent encore 4 hommes bléssés, la batterie entièrement détruite, le fourneau à réverbère dégradé, les canons, leurs affuts et munitions furent jetés à la mer, les baraques incendiées etc...enfin l'ennemi captura 10 des 14 batiments formant un convoi mouillé en ce moment dans l'anse du port de Morgiou.
A peine avait-on réparé une partie des dégats causés par l'ennemi dans cette batterie, les épaulements reconstruits allaient être réarmés que l'ennemi s'attaqua de nouveau le 2 Mai à cette batterie, après une canonnade il débarqua directement sur le Cap Morgiou par le débarcadère de St Pierre et celui de la Gorguette, détruisit de nouveau les épaulements, fit sauter ce qui restait du fourneau à réverbère* et s'empara de 6 batiments du commerce mouillés dans l'anse et d'un bateau chargé d'agrès d'artilleries.
Pour prévenir le retour de semblables échecs on s'occupa de suite des travaux indiqués dans la 2ème colonne de cet article. On avait également projeté de barrer par un retranchement bastionné le passage étroit en avant de l'emplacement choisi pour y établir une tour du modèle n°9.
Avec tous ces ouvrages les batteries de Morgiou auraient été sans contredit les mieux défendues de toutes la côte et il me paraissait entièrement superflu d'achever cette tour dont les déblais par son emplacement étaient faits en partie. Je proposais en conséquence d'y substituer un corps de garde défensif dans le genre de celui dont j'ai fait la description à l'article de la batterie de Niolon, et qui beaucoup moins couteux, plus rapidement construit, offrant plus de logement que la tour pouvait la remplacer avec d'autant moins d'inconvénient qu'il est impossible de monter du canon sur le cap pour l'attaque de ce réduit."
* un fourneau à réverbère est un fourneau où la chaleur est réverberée par la voute du four. Le combustible est brulé dans une chambre différente de celle des matières traitées. En 1775 la Marine Française fait venir un maitre de forge britannique, William Wilkinson pour construire un four à réverbère pour la fabrication d'artillerie en fonte de fer: ce sera la fonderie d'Indret.
Il y avait donc une fonderie sur le Cap Morgiou en 1813 , Morgiou à la pointe du progrès technique ?? Pas vraiment.. le four servait surtout à chauffer les boulets au rouge avant de les envoyer sur les bateaux anglais dans l'espoir de les voir s'embraser. Plusieurs batteries de la côte marseillaise en étaient équipées, ainsi que le montre l'Atlas de 1818.
A peine avait-on réparé une partie des dégats causés par l'ennemi dans cette batterie, les épaulements reconstruits allaient être réarmés que l'ennemi s'attaqua de nouveau le 2 Mai à cette batterie, après une canonnade il débarqua directement sur le Cap Morgiou par le débarcadère de St Pierre et celui de la Gorguette, détruisit de nouveau les épaulements, fit sauter ce qui restait du fourneau à réverbère* et s'empara de 6 batiments du commerce mouillés dans l'anse et d'un bateau chargé d'agrès d'artilleries.
Pour prévenir le retour de semblables échecs on s'occupa de suite des travaux indiqués dans la 2ème colonne de cet article. On avait également projeté de barrer par un retranchement bastionné le passage étroit en avant de l'emplacement choisi pour y établir une tour du modèle n°9.
Avec tous ces ouvrages les batteries de Morgiou auraient été sans contredit les mieux défendues de toutes la côte et il me paraissait entièrement superflu d'achever cette tour dont les déblais par son emplacement étaient faits en partie. Je proposais en conséquence d'y substituer un corps de garde défensif dans le genre de celui dont j'ai fait la description à l'article de la batterie de Niolon, et qui beaucoup moins couteux, plus rapidement construit, offrant plus de logement que la tour pouvait la remplacer avec d'autant moins d'inconvénient qu'il est impossible de monter du canon sur le cap pour l'attaque de ce réduit."
* un fourneau à réverbère est un fourneau où la chaleur est réverberée par la voute du four. Le combustible est brulé dans une chambre différente de celle des matières traitées. En 1775 la Marine Française fait venir un maitre de forge britannique, William Wilkinson pour construire un four à réverbère pour la fabrication d'artillerie en fonte de fer: ce sera la fonderie d'Indret.
Il y avait donc une fonderie sur le Cap Morgiou en 1813 , Morgiou à la pointe du progrès technique ?? Pas vraiment.. le four servait surtout à chauffer les boulets au rouge avant de les envoyer sur les bateaux anglais dans l'espoir de les voir s'embraser. Plusieurs batteries de la côte marseillaise en étaient équipées, ainsi que le montre l'Atlas de 1818.
Cette construction pourrait être un four à reverbère de fortune. Murs de 1m d'épaisseur, 1 mètre de profondeur lorsque la voute était en place , la partie de droite de 60 cms de largeur ,celle de gauche de plus de 1m formant un L.
Elle n'est pas entre les 2 batteries comme on pourrait s'y attendre mais près de la future tour.
°La Grande Chandelle se trouve de l'autre coté de la calanque de Morgiou, et certainement pas entre Sormiou et le Pas du Renard. Toutefois en regardant de près la carte réalisée par mon père du Massif de Puget je vois qu'il y a une Candelle au Cancéou , en fait une aiguille qui est bien, elle, sur le chemin du Pas du Renard. Il identifie aussi le carré de pierres comme ruines du corps de garde, la tour qui en fait n'a jamais été batie.
Le nombre d'Anglais est identique à celui qui attaque la batterie de Cacaù en Août 1813 en débarquant de nuit dans Port-Pin et jetant là aussi les canons à la mer.
Cela est aussi vérifié par les canons qui sont toujours dans l'eau. 5 à Cacaù .
Elle n'est pas entre les 2 batteries comme on pourrait s'y attendre mais près de la future tour.
°La Grande Chandelle se trouve de l'autre coté de la calanque de Morgiou, et certainement pas entre Sormiou et le Pas du Renard. Toutefois en regardant de près la carte réalisée par mon père du Massif de Puget je vois qu'il y a une Candelle au Cancéou , en fait une aiguille qui est bien, elle, sur le chemin du Pas du Renard. Il identifie aussi le carré de pierres comme ruines du corps de garde, la tour qui en fait n'a jamais été batie.
Le nombre d'Anglais est identique à celui qui attaque la batterie de Cacaù en Août 1813 en débarquant de nuit dans Port-Pin et jetant là aussi les canons à la mer.
Cela est aussi vérifié par les canons qui sont toujours dans l'eau. 5 à Cacaù .
SACREES CALANQUES
Film réalisé par Hélène Desvals et Christophe Dussert : Promenade dans les Calanques à propos de la pierre de Cassis.
Elle le présente dans plusieurs villes de la côte provencale
Elle le présente dans plusieurs villes de la côte provencale
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Copyright© Riou et les Calanques du Dr. Albert. All Rights Reserved
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